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NAPOLÉON

général que des Romains ne fussent pas allés plus avant. Craignant la superstition des autres plus qu’il n’était superstitieux, Napoléon était préoccupé que la chose ne se sût pas. Puis secouant cette idée puérile et se persuadant lui-même : « Avant deux mois, la Russie me demandera la paix. » Le lendemain, il est sur l’autre rive du Niémen. C’est pour y trouver, au lieu des bras ouverts d’Alexandre, quelques cosaques qui prennent la fuite, et pour apprendre que l’armée russe se retire depuis trois jours.

On était le 24 juin. Le 28, Napoléon entre à Vilna. Il y restera dix‑huit jours, moitié moins seulement qu’à Moscou. Il y attend la même chose, qu’Alexandre demande la paix, réponde au message : « Si Votre Majesté veut finir la guerre, elle m’y trouvera disposé. » Vilna, c’est une des capitales et une des conquêtes de la Russie. La Grande Armée occupant la Lithuanie, menaçant de soulever la population contre les oppresseurs, d’unir les Lithuaniens aux Polonais (on s’imaginait alors qu’il n’y avait pas de différence entre eux), Alexandre devait prendre peur. Il céderait. Napoléon n’en doutait pas parce qu’il l’avait ainsi décidé. « Une idée qu’il croyait utile une fois casée dans sa tête, dit Caulaincourt, l’empereur se faisait illusion à lui-même. Il l’adoptait, la caressait, s’en imprégnait. » Vilna, dans ses projets, était un grand quartier politique et militaire, le lieu d’où l’intimidation devait réussir ou bien le«  coup de tonnerre » éclater. Alexandre redoute le rétablissement de la Pologne. Sa correspondance, ses soupçons continuels le prouvent assez. Qu’on puisse agir sur lui par cette crainte, Napoléon en est certain. De Dresde, il a envoyé ses instructions à l’abbé de Pradt, archevêque de Malines, ambassadeur auprès du duc de Varsovie. Il s’agit de mettre la Pologne « dans une sorte d’ivresse », de préparer là pour les Russes une Vendée ou une Espagne, l’épou-