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NAPOLÉON

côté de Napoléon et de Marie‑Louise, les augustes beaux‑parents, objet des égards de leur gendre, attestaient l’intimité des deux maisons et des deux Empires. Encore quatorze mois et, dans la ville qui avait vu cette réunion de famille, Bonaparte recevrait de la cour de Vienne une déclaration de guerre. Son triomphe et son échec auraient été pareillement prévus. Et si les fêtes, les effusions de Dresde s’accompagnaient de chuchotements et de rumeurs, on donnait à égalité les chances des deux adversaires. Le tsar, qui s’exposait aux coups d’un pareil colosse, semblait parfois le plus insensé.

Napoléon « ne mettait pas en doute » que l’empereur Alexandre ne dût lui demander la paix « parce que ce résultat était la base de ses combinaisons ». C’est la clef de la campagne de Russie où il va chercher la réconciliation par une autre victoire de Friedland, ne doutant pas non plus qu’Alexandre ne fût resté tel qu’il l’avait connu, sujet aux émotions, aux revirements subits. Il ne le croyait pas capable de persévérer dans le dessein atroce de livrer son Empire et de le dévaster devant l’envahisseur. Tout cela semblait du roman à Bonaparte qui eût plutôt rangé le tsar parmi les amateurs de drames avec changements de scène et péripéties. Napoléon ne devinait pas qu’à ce moment Alexandre était entré dans un rôle nouveau, celui de libérateur des peuples, et que, ne s’y plût‑il pas, il y serait enfermé par l’alliance qu’il allait renouer avec l’Angleterre, par le fanatisme national qu’il aurait soulevé chez ses sujets, par la vanité même. Sa cour devenait à la fois le rendez-vous des ennemis de Napoléon et un salon libéral. Mme de Staël, passant à Pétersbourg, reçue, fêtée comme l’adversaire du tyran de l’Europe, célébrait la vertu et la conscience de l’autocrate russe. C’était un autre style que celui de Tilsit, mais encore un style, et qui répondait à une nouvelle situation. Alexandre en était flatté, grisé. Dès lors, l’eût‑il voulu, que