Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/434

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
429
LE ROI DE ROME

ne manque rien, alors qu’il leur manque la confiance de celui qui marche sur ces sommets vertigineux : « J’ai ouï raconter à M. Mounier quel trouble, quelles soucieuses méditations possédaient l’empereur sans qu’il les confiât à personne », disait Barante. Napoléon ne méconnaît pas les hasards d’une guerre dans un pays inconnu, à sept cents lieues de la France, tandis qu’il laisserait derrière lui, en Espagne, une armée anglaise et une nation soulevée, et l’Allemagne « toute prête à le briser au premier revers de fortune ». En France même, sans illusion sur les peuples, il discerne « une obéissance fatiguée », un besoin de repos, les dévouements qui se relâchent, les hommes de guerre rassasiés. « Pour qui vivait dans son intérieur et l’observait avec attention, il était évident que ces pensées l’assiégeaient ; de longues insomnies troublaient souvent ses nuits ; il passait des heures entières sur un canapé, livré à ses réflexions. Elles finissaient par l’accabler et il s’endormait d’un mauvais sommeil. » On touche ici la vérité. Souvent l’empereur est bizarre, distrait, étrangement rêveur. Thiébault raconte la scène dont la cour, les invités, dix princes furent étonnés, un soir de grande réception à Compiègne où on le vit soudain immobile, les yeux fixés sur le parquet, comme s’il eût été ailleurs, et, à Masséna qui, le croyant pris de malaise, s’était approché de lui, jetant d’une voix de colère et comme s’il eût été tiré de sommeil : « De quoi vous mêlez-vous ? » On le dit atteint dans sa santé, peut‑être épileptique. Il est incertain, inquiet, tourmenté.

L’idée lui revient de prendre à bras‑le‑corps le principal ennemi plutôt que d’aller le frapper dans ses auxiliaires. Un camp de Boulogne, il y pense dans l’été de 1811. « Monsieur Decrès, faites-moi un rapport sur ce qui convient mieux de Brest ou de Cherbourg pour y réunir une expédition dont le but est de menacer l’Angleterre. » Cette menace