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LE GENDRE DES CÉSARS

cette prophétie était celui de Tilsit. Le bois, le chanvre, la baisse du rouble frappé par l’arrêt du commerce russe ont détruit l’alliance plus sûrement que le refus de la grande‑duchesse et que le mariage d’Autriche. Menacé du même sort que Paul, Alexandre cède aux plaintes de ses boyards, de ses négociants ruinés. Le 31 décembre 1810, il rend l’ukase qui porte en lui la guerre. Lourdes taxes sur les importations françaises. Liberté du commerce des neutres dans les ports de Russie ; or, le pavillon des neutres, des Américains surtout, couvre des marchandises anglaises, tout le monde le sait, et que de notes le gouvernement français a échangées à ce propos avec les États-Unis ! Désormais, dans toute l’Europe centrale, jusqu’à Mayence, on vendra du sucre et du café introduits par Riga. C’est, avec Napoléon, l’inévitable conflit. Alexandre le sait si bien que, depuis six mois, il a commencé ses préparatifs militaires… L’alliance de Tilsit se brise sur le blocus continental. Les deux grandes idées de Napoléon ne se concilient pas. Il ne peut à la fois fédérer l’Europe et la contraindre aux restrictions.

Pourtant, à la fin de cette année, il semble toujours « se promener dans sa gloire ». Bientôt la succession sera assurée, l’héritier est attendu. Il n’est pas possible qu’on ne vienne pas entièrement à bout de cette Espagne. Là‑bas, à Vienne, le père de Marie‑Louise répond de l’amitié de tous les princes ou de leur soumission. Si Alexandre rompt le pacte, on recommencera Friedland, mais cette fois avec l’aide de l’Europe coalisée, pour recommencer Tilsit. L’excès de confiance que Tilsit avait déjà donné à Bonaparte, son mariage le lui inspire maintenant. Il dira : « On m’a reproché de m’être laissé enivrer par mon alliance avec la maison d’Autriche. » Et il le dira parce qu’il sentait que c’était vrai.