Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/352

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
347
LE PREMIER NUAGE VIENT D’ESPAGNE

ses droits, ce qui, ajoutait-il ironiquement, « ne l’a pas empêché d’être béatifié ». Il s’autorisait encore de Louis XIV, bien qu’il s’abstînt toujours de nommer Philippe le Bel. Le fait est que l’Europe se tut, laissa faire, tandis que l’empereur comptait que la présence à Rome de quelques régiments suffirait, qu’elle imposerait au pape et viendrait vite à bout de sa résistance. Comme dans l’affaire d’Espagne, son erreur est de croire à un arrangement rapide, par des combinaisons de force et d’habileté, persuadé qu’il a tout prévu. Sans doute il va, dès ce moment, jusqu’à envisager la réunion pure et simple des États pontificaux à l’Empire, si, par hasard, la cour de Rome ne cède pas, mais en se flattant que tout cela se fera « insensiblement et sans qu’on s’en soit aperçu ». Et comme pour l’Espagne encore, ce n’est pas seulement à l’excellence de ses calculs qu’il se fie. Il se croit bien renseigné. À Rome l’entourage du pape, la plus grande partie du Sacré-Collège pense qu’il faut à tout prix éviter une rupture. De Paris, le légat Caprara, fort effrayé, fait dire qu’il serait insensé de résister à l’empereur et de lui refuser la chose à laquelle il tient, qui est essentielle à sa politique, l’entrée du Saint Siège « dans un système fédératif avec la France contre les Anglais », système qui « ne serait en rien contraire aux devoirs du père commun des fidèles et aux traditions de la cour de Rome ».

Napoléon fut gravement désappointé et irrité quand il apprit que, loin de céder, Pie VII protestait contre l’occupation, rappelait le légat de Paris, ne s’effrayait pas d’une rupture. Par surcroît, ces nouvelles lui arrivèrent à Bayonne, au moment de la grande incertitude que lui donnait le règlement espagnol. Il vit très bien que, détrôner à la fois le roi d’Espagne et le pape, c’était multiplier les difficultés et qu’il n’était pas opportun de « se mettre à la fois sur les bras une guerre religieuse de l’autre côté des Alpes et une guerre politique par-delà les