Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
342
NAPOLÉON

d’ici un an, en comprenant la flotte russe, il disposera de 130 vaisseaux de ligne, une force capable de venir à bout des Anglais.

Il ne manque à tout cela que le consentement de la nation espagnole. L’empereur ne doute pas de l’avoir. N’a-t-il pas dit : « Quand j’apporterai sur ma bannière les mots liberté, affranchissement de la superstition, destruction de la noblesse, je serai reçu comme je le fus en Italie et toutes les classes vraiment nationales seront avec moi. Vous verrez qu’on me regardera comme le libérateur de l’Espagne. » C’était la doctrine de la Convention, au temps des guerres de propagande. C’en était le style et jamais l’effet n’en fut plus manqué. Les proclamations de l’empereur, l’assurance solennelle que les couronnes de France et d’Espagne demeureraient à jamais distinctes, que la religion catholique resterait la seule religion, ces promesses ne portèrent pas davantage. Pourtant Napoléon se flattait d’acquérir des titres éternels à l’amour et à la reconnaissance de l’Espagne et ces mots, que l’histoire rend cruellement ironiques, furent affichés sur les murs : « Je veux que vos derniers neveux conservent mon souvenir en disant : il est le régénérateur de notre patrie ! »

Jamais encore Napoléon ne s’est aussi gravement abusé et il s’est abusé comme un idéologue. Il se savait sujet à l’erreur. « Je me suis si souvent trompé que je n’en rougis pas », avait‑il dit un jour à Talleyrand avec le sentiment que sa supériorité lui permettait un tel aveu. Ici, l’erreur est totale et, par elle, il est dit que tout conspirera à lui nuire, que les moindres circonstances tourneront contre lui.

Peut‑être, après tout, dans le premier moment de la surprise, devant le trône vide, l’Espagne eût-elle accepté un roi de la main de Napoléon. Murat lui plaisait assez. Napoléon l’a écarté, trouvant plus digne de la nation espagnole de lui donner Louis