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NAPOLÉON

tenir à sa discrétion les descendants de Louis XIV, de les voir s’avilir devant lui. Quand Charles IV arrive, il se jette dans les bras du grand ami, l’appelle son sauveur, et, quand il comprend que les prières sont vaines, que le parti de l’empereur est inébranlable, il joue, devant cet amateur de Corneille, le dernier acte d’une tragédie de palais. Au prix de sa propre couronne, le père se venge du fils. Il cède ses droits à Napoléon et Ferdinand, qui s’est livré lui-même, qui s’est mis stupidement à la discrétion de l’arbitre, abdique et renonce au trône à son tour. Après quoi ces deux rois s’humilient encore en acceptant les terres, les rentes que Napoléon leur offre avec l’hospitalité, Talleyrand étant chargé, pour occuper ses propres loisirs, d’héberger et d’amuser à Valençay Ferdinand et son jeune frère. « Vous pourriez y amener Mme  de Talleyrand avec quatre ou cinq dames. Si le prince des Asturies s’attachait à quelque jolie femme, cela n’aurait aucun inconvénient. » Impassible, le prince de Bénévent accepta encore ce rôle. Il attendait son heure, il pressentait la fin. Talleyrand dédaignait. Napoléon méprisait. À quelle hauteur s’élevait son mépris lorsque, sur son ordre, l’ancien évêque d’Autun se faisait l’amuseur de princes du sang le plus noble qui venaient de s’humilier et de se dégrader devant l’usurpateur et le parvenu ? Mais il trouvait, là aussi, une excuse devant lui‑même et devant l’histoire. Ce qu’il avait fait n’était pas bien. La politique ne le commandait-elle pas ? Et ces Bourbons méritaient‑ils de régner ? L’intérêt de la France et de l’Europe, la conduite de la guerre contre les Anglais, est‑ce que cela ne passait pas avant tout et ne faisait pas taire les scrupules ?

À cette date, un rapport de Champagny, mémoire justificatif corrigé de la main de Napoléon, présente l’affaire d’Espagne sous la forme d’un raisonnement serré, la met en syllogismes. Après