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NAPOLÉON

résistent, des châtiments soudains et terribles les calmeront, selon la méthode qu’il a appliquée aux « barbets » d’Italie, qu’il a recommandée à Joseph contre les brigands de Calabre, qu’il conseille à l’occasion au vice-roi Eugène. « Les Espagnols sont comme les autres peuples et ne forment pas une classe à part », écrit‑il au maréchal Bessières. C’est là qu’il se trompe. Les Espagnols, il ne les connaît pas. N’est-il pas curieux que, des lectures, des griffonnages de sa jeunesse, où l’on trouve de tout, où il s’est formé des idées justes sur tant de races, de religions, de pays, l’Espagne soit absente ? Il semble que sur elle il n’ait jamais rien lu, peut-être parce qu’il n’y avait rien à lire. Il y va à tâtons comme il fût allé en Égypte s’il n’avait annoté tant de livres sur l’Orient et l’Islam. Dans l’immense savoir de Bonaparte, qui l’a si bien servi, dans les bibliothèques qu’il a dévorées, il y a cette lacune, par hasard. Quand il n’a pas appris, il est au niveau des autres, dans le vague, et, ce qui est pire, faute de connaissances positives, dans le préjugé. Alors les informations manquant au jugement, les fatalités viennent s’enchaîner aux erreurs.

Napoléon se propose de passer bientôt les Pyrénées pour éclaircir lui‑même ce qui se complique dans la péninsule, drame de famille des Bourbons, conflit de Charles IV et du prince des Asturies, politique tortueuse de Godoy, révision du traité de Fontainebleau. En attendant qu’il soit sur place, ses recommandations à Murat sont toujours les mêmes. Soyez prudent, circonspect. Évitez les heurts, les hostilités. Rassurez. Dites que je viens seulement pour régler l’ordre de succession, que j’arrive en conciliateur, que je ne resterai pas à Madrid, que ce sont Gibraltar et l’Afrique du Nord qui m’intéressent. « Continuez à tenir de bons propos… Il serait dangereux de trop effaroucher ces gens‑là. »

Ce sage conseil est du 16 mars. Ce qu’il fera, Napoléon ne le sait toujours pas. Il « espère que