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L’OUVRAGE DE TILSIT

bleau, le scandale éclate à la cour de Madrid. Charles IV paraissant près de mourir, le favori Godoy, pour se maintenir au pouvoir, a cherché, d’accord avec la reine, à obtenir du vieux roi que le prince des Asturies, celui qui devait être Ferdinand VII, fût écarté de la succession au trône. Ferdinand, sur le conseil de son ancien précepteur, le chanoine Escoïquiz, sollicite la protection de l’empereur des Français et, de plus, étant veuf et ayant refusé d’épouser la belle-sœur de Godoy, il demande en mariage une princesse de la famille Bonaparte. D’autre part, il se disposait à éclairer son père sur les intrigues de Godoy, lorsque la reine et le favori le devancent et convainquent Charles IV que son fils conspire contre lui. Le roi lui-même signifie au prince des Asturies, après lui avoir fait rendre son épée, qu’il est prisonnier dans le palais et publie un décret qui le déclare indigne du trône, non sans informer aussitôt l’empereur de ces événements et de « l’attentat affreux » que préparait le prince héritier. Ainsi, Napoléon est constitué par le père et par le fils arbitre de leur abominable querelle. De ce jour, avec le dégoût que lui inspire cette famille, date la tentation.

Il y eut pire encore, comme si le Malin lui‑même s’était chargé de la besogne. Dans leur haine de Godoy, les Espagnols avaient pris le parti de Ferdinand et, sachant que le prince persécuté s’était mis sous la protection de l’empereur, faisaient tout haut des vœux pour que l’armée française, alliée de l’Espagne contre le Portugal, vînt les délivrer du favori. Ils appelaient eux-mêmes les troupes que Napoléon massait à la frontière pour être prêt à porter secours à l’expédition de Portugal qui, très faiblement soutenue par les Espagnols, ne tournait pas bien, et pour être en mesure d’intervenir à Madrid si cette dynastie des Bourbons divisée contre elle‑même et son gouvernement en déliquescence s’effondraient. Précaution légitime puisque, pour expul-