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NAPOLÉON

attaque des Anglais. Il serait fâcheux de trahir aussi ouvertement ces Turcs amis. Juste à ce moment une révolution de palais renverse le sultan Sélim, délie Napoléon de cette alliance. Les provinces danubiennes, dépouilles de Sélim, la Finlande, dépouille de la Suède, telle est la part que reçoit la Russie quelques jours après une sanglante défaite, comme si, dit Thiers, et ce n’est pas mal dit, « l’honneur d’être vaincu par Napoléon équivalait à une victoire ».

Le traité de paix fut signé à Tilsit, le 8 juillet, trois semaines après Friedland, toujours avec cette rapidité qui improvisait les plus vastes remaniements de souverainetés et de territoires. Traité brillant, plein de contradictions, de transactions et de faiblesses comme ils le sont tous et que Bonaparte eût critiqué le premier s’il en avait subordonné les détails — et les découpages de provinces, les créations d’États n’étaient plus que des détails — à l’idée centrale qui était de fédérer le continent contre l’Angleterre.

Il est facile de dire que la Prusse devait être ou bien tout à fait anéantie ou restaurée tout à fait, mais on ne pouvait la supprimer et détrôner son roi sans déshonorer Alexandre. D’autre part, elle avait prouvé, dix mois plus tôt, qu’elle était dangereuse avec toutes ses forces et tout son territoire. Il eût été imprudent de la laisser intacte et de la remettre dans son ancien état de puissance. Il est facile de dire encore que le duché de Varsovie, simulacre d’indépendance de la Pologne, c’était, pareillement, à la fois trop et pas assez. Napoléon se félicitait de la création de cet État varsovien comme d’une solution modérée, prudente, bien calculée, qui tenait compte de tout. Il faisait tout de même quelque chose pour les Polonais, ménageait ces utiles, ces sincères amis de la France dans l’Europe de l’Est, les constituait en État‑tampon, suffisant pour mettre une distance entre la Russie et l’Allemagne, trop faible pour por-