Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
311
L’OUVRAGE DE TILSIT

une trace aussi brillante que ceux d’Amiens, ils feront oublier les combats sanglants, les misères, ils serviront encore à la magie du règne. Pourtant, rien n’est fini et Napoléon le sait. Que cherche-t-il ? Que veut-il ? Associer à la lutte contre l’Angleterre la Russie qui devient la pièce maîtresse du « système ». En donnant l’ordre à Fouché de veiller pour que, dans les journaux de Paris, il ne soit plus dit de « sottises » sur les vaincus de Friedland et leur empereur, il ajoute : « Tout porte à penser que notre système va se lier avec cette puissance d’une manière stable. » Le système, c’est le blocus continental. Trois jours plus tard, il rédige à l’usage d’Alexandre, un exposé sur « la conduite que nous avons à tenir pour contraindre l’Angleterre à la paix ». Désormais Napoléon considère que la guerre est finie sur le continent. Il ne reste plus à terminer que la guerre maritime. Alexandre offrira sa médiation à Londres pour la paix générale. Si l’Angleterre refuse, « elle verra la crise qui se prépare pour lui fermer tout le continent ». Il s’agit que le décret de Berlin ne soit plus un vain mot. La Prusse étant à demi occupée, à demi soumise, la Russie consentante, le commerce des Anglais, exclu d’Europe, étouffera encore davantage. Si l’Angleterre s’obstine, l’escadre du tsar s’unira aux flottes de la France et de ses alliés pour reprendre les hostilités sur les mers. Et que faut‑il pour décider Alexandre ? Renoncer à la résurrection d’une grande Pologne, ce n’est pas assez, Napoléon ne l’ignore pas. Alors, à ses yeux éblouis, il déroule, la carte sur la table, un projet de partage plus grandiose que tous ceux du siècle passé, la question d’Orient résolue au profit de la Russie, le « grand projet ». Sans doute, il faut sacrifier, avec les Polonais, les Turcs qui sont aussi les alliés de la France, qui, durant cette campagne de Friedland, opéraient une diversion utile contre le tsar, qui ont résisté dans le Bosphore, avec l’aide de Sébastiani et d’une mission française, à une