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L’ÉPÉE DE FRÉDÉRIC

au « camp impérial », qui était le misérable gîte d’Osterode. Il vit Bonaparte, le trouva bavard, agité, distrait, comme un homme dont « l’esprit est inquiété furieusement ». Il causa avec Ney et d’autres, entendit des critiques, des plaintes amères — déjà la « fronde des maréchaux », certains, comme Bernadotte, mûrs pour la défection. Frédéric-Guillaume, poussé par la reine Louise, encouragé par Hardenberg et le parti patriote, soutenu par Alexandre, qui promettait de jeter dans la lutte toutes les ressources de la Russie, conclut du rapport de ce colonel qu’il n’y avait pas lieu de donner suite aux ouvertures de Napoléon. Tout réduit qu’il était à la frange extrême de son royaume, le roi de Prusse pressentait, d’accord avec le tsar, le jour où les Français seraient chassés au‑delà du Rhin, alors que Bonaparte croyait efficace et suffisante l’offre de lui rendre ses États jusqu’à l’Elbe.

On dit que, se méfiant de son hésitant mari, la reine Louise, pendant ce conseil, soufflait à l’oreille de Hardenberg : « Constance. » Après l’échec de son offre de paix, ce fut la devise de Napoléon. Il se soumet toujours à ce qui ne dépend pas de lui et il se ressaisit devant l’inévitable. Il avait dit au colonel prussien, qui n’avait vu là que de la jactance, que s’il n’obtenait pas la paix il battrait pour de bon l’armée russe, qu’il saurait bien contraindre Alexandre à accepter ses conditions et qu’alors le roi de Prusse ne compterait plus. Il tint parole. Pendant quatre mois encore, il séjourne en Prusse‑Orientale, travaillant avec acharnement, préparant la campagne d’été, pour la saison où l’affreux dégel aura pris fin, quand la marche des troupes redeviendra possible. Son but ne change pas : paix, amitié avec Alexandre. Il battra ses généraux, il séduira le souverain. Alors la fédération continentale ne sera plus un vain mot. La « dernière guerre » non plus. Le « plus vaste de ses projets » sera accompli.

Une des parties les plus frappantes de son his-