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L’ÉPÉE DE FRÉDÉRIC

glais. C’est la fédération européenne qu’on va chercher, les armes à la main, contre la Russie qui attaque encore, oubliant la générosité que lui a montrée le vainqueur d’Austerlitz, « générosité peut-être condamnable » mais, qu’il est prêt à lui marquer de nouveau. Le XXIXe bulletin, en annonçant à la Grande Armée que les Russes se mettent en marche contre elle, ajoute : « Il faut que cette guerre soit la dernière. » C’est ce qu’on dit toujours aux peuples et aux soldats, ce que Napoléon a si souvent annoncé. Cette fois, il se flatte de ne pas mentir. Car, tandis qu’avec un soin minutieux il prépare les opérations sur des champs de bataille plus lointains, il élabore toute une politique, avec autant de sollicitude.

Il tient la Prusse sous sa botte et pourtant il la ménage. Il prend contre elle les précautions que rend légitimes ce qu’il a le droit d’appeler une trahison, tandis qu’il cherche à ne pas exaspérer le peuple, à garder des contacts avec la dynastie. Ce qu’on a nommé la « clémence d’Iéna », clémence considérée comme une faiblesse dont il sera victime, part d’un calcul, d’une idée préconçue. Nous l’avons déjà vu écrivant à Frédéric-Guillaume, lui réitérant son regret de cette guerre, lui tendant en somme la main. L’épisode le plus célèbre du séjour à Berlin, c’est celui de la lettre qui accuse le prince de Hatzfeld, qui va le faire fusiller dans trois heures et que Napoléon livre à la princesse, admise à implorer la grâce de son mari, pour qu’elle jette au feu la pièce à conviction. L’homme qui savait être insensible à des prières de femmes, qui n’avait souffert aucune intervention pour le duc d’Enghien, qui vient de faire fusiller à Nuremberg le libraire Palm, coupable d’avoir vendu des libelles antifrançais, pour faire des exemples en Allemagne, de même que, dans ses lettres à Eugène et à Joseph, il insiste sur la nécessité de faire des exemples en Italie, cet homme‑là a été touché parce qu’il l’a bien voulu.