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AUSTERLITZ MAIS TRAFALGAR

sable des fautes commises, Barbé-Marbois, ministre du Trésor, vient « offrir sa tête » au maître, humblement. « Que veux‑tu que j’en fasse, grosse bête ? » lui répond l’empereur.

Bizarre mélange de l’héroïque et du familier, de solennité voulue et de naturel qui a tant fait pour sa popularité et sa légende. Au ministre qui tremble comme devant un despote d’Asie, le vainqueur d’Austerlitz répond par une plaisanterie du théâtre de la foire, tandis que, le jour où la députation batave vient offrir le trône de Hollande à Louis, on suit le cérémonial de la succession d’Espagne, celui de Louis XIV pour le duc d’Anjou. Le nouveau souverain est annoncé à la cour, toutes les portes du palais ouvertes. Pourtant, le sérieux de la chose est ailleurs. La Hollande n’est pas une conquête de Bonaparte. Elle lui vient de la République et de Pichegru l’étranglé, et doit être un « poste de douane » contre les Anglais, de même que le royaume de Naples, conféré d’autorité à Joseph, doit être contre eux un « poste avancé » méditerranéen. La distribution des couronnes à la famille procède d’un système et de nécessités qui s’engendrent et s’engendreront les unes les autres. Mais, le lendemain de la cérémonie, devant la nouvelle reine, Napoléon fait réciter au petit garçon d’Hortense et de Louis les Grenouilles qui demandent un roi. « Qu’est-ce que vous dites de cela, Hortense ? »

C’est comme s’il y avait en lui deux hommes dont l’un, quelquefois, aux rares moments de détente, s’amuse à regarder l’autre.