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NAPOLÉON

turer si loin. La troisième coalition est battue. Il faut qu’elle soit dissoute. Il faut tout de suite la paix, des accords durables, avec l’Autriche, certes, dont le dernier espoir, celui qu’elle mettait sur Alexandre, vient de s’évanouir, avec la Prusse aussi, effrayée à l’idée des risques qu’elle aurait courus si elle s’était embarquée sur cette galère. Mais la paix avec la Russie, surtout. Car Napoléon poursuit chez Alexandre l’amitié qu’il avait trouvée chez Paul. Il cherche à le séduire par des procédés chevaleresques, les mêmes qu’il avait employés avec le père, en lui renvoyant les prisonniers de sa Garde, et par des appels à la sensibilité, car il pense déjà que ce jeune autocrate doit être un homme de roman et de théâtre. Prendre de l’influence sur Alexandre devient une de ses ambitions. Le XXXe Bulletin fait l’éloge du tsar, le met en garde contre les « freluquets que l’Angleterre solde avec art et dont les impertinences obscurcissent ses intentions ». Ah ! si Alexandre l’écoutait ! Que de grandes choses ils feraient ensemble ! Deux héros de même taille peuvent déjà s’unir, de loin, dans une même pensée, pleurer sur l’horreur si vaine des champs de bataille. Napoléon a dû savoir avec quelle angoisse, incapable de soutenir la vue des morts et d’entendre le râle des blessés, Alexandre a fui le charnier où son armée pourrissait. Alors il reprend le couplet humanitaire, qu’il sait rédiger aussi bien que l’héroïque et alterner avec l’ironie ou l’invective : « Le cœur saigne ! Puisse tant de sang versé, puissent tant de malheurs retomber enfin sur les perfides insulaires qui en sont la cause ! » Depuis Trafalgar, il n’est plus question d’aller à Londres châtier « les lâches oligarques ». Il reste à fédérer l’Europe contre eux, et si elle ne se fédère pas de bon gré, il faudra que ce soit de force. Désormais l’idée fixe de Napoléon c’est l’idée de Tilsit, la paix et l’union du continent par l’alliance russe pour en finit avec l’Angleterre.