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NAPOLÉON

consiste à donner rendez-vous aux escadres dans la mer des Antilles pour y attirer les Anglais, puis, leurs forces rassemblées, à revenir à toute vitesse dans la Manche. Mais, à la Martinique, Villeneuve ne trouve plus l’amiral Missiessy qui est reparti n’ayant accompli qu’une partie de sa mission, et il ne trouve pas Ganteaume. Faute de vent — ce qui, à la saison, n’arrive jamais — l’escadre de Ganteaume est restée immobile dans la rade de Brest où les Anglais sont venus la bloquer. Villeneuve, se voyant seul, fait voile vers l’Europe. Aucun des amiraux n’a rempli ses instructions, et, par suite, le plan primitif est abandonné. Il reste la ressource de risquer une bataille, à n’importe quel prix, pour que Ganteaume puisse sortir de Brest et pénétrer dans la Manche avec tout ce qu’on aura de navires. Mais en dépit des encouragements, comme en dépit des ordres impérieux qu’il reçoit, Villeneuve ne se décide pas à remonter vers le Nord pour risquer une bataille, et sa timidité perdra tout.

Entre Napoléon et ses lieutenants, c’est le désaccord qui deviendra habituel. Il voudrait, lui, qu’on fût comme lui‑même. L’effort nécessaire, on doit le faire avec les moyens qu’on a. C’est le sens de son aphorisme célèbre : « Le mot impossible n’est pas français. » Mais les hommes qu’il emploie ressemblent à la plupart des hommes. Ils considèrent d’abord les moyens dont ils disposent et ils mesurent les possibilités à ces moyens. Villeneuve et le ministre Decrès ne savaient que trop bien le métier de la mer. Ils voyaient surtout les difficultés et les obstacles et ils n’avaient pas confiance dans leur instrument. C’est avec des navires défectueux, des équipages à peine instruits, les auxiliaires espagnols qui n’ont même pas de biscuit pour leurs matelots que Napoléon exige d’aussi vastes opérations ! Lorsque Villeneuve compare la marine française désorganisée par la Révolution,