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NAPOLÉON

ban de l’Europe, la Sainte‑Alliance pour l’exiler et le surveiller à Sainte-Hélène. Désormais, le plan est fait, la partie engagée. Napoléon doit prendre l’Angleterre à la gorge, la vaincre, la dompter ou bien, quoi qu’il fasse, il ne pourra que reculer l’échéance. Il est perdu.

Son nom d’homme extraordinaire serait usurpé, il y aurait une lacune immense dans son génie, s’il n’avait compris cela. Et l’on fait à son intelligence un médiocre honneur lorsqu’on suppose que le camp de Boulogne, le projet de descente en Angleterre, la construction de toute une flotte de transports pour le passage de la Manche, n’ont été que simulacre et diversion. C’était lui, au contraire, qui, en prolongeant son séjour en Italie après le couronnement de Milan, s’appliquait à donner aux Anglais l’illusion que ses desseins contre eux n’étaient qu’une feinte.

Un reproche peut sembler plus juste, celui de s’être, à ce moment, attiré des ennemis et d’avoir provoqué lui‑même la coalition en réunissant à son empire la République de Gênes. Cependant, cette annexion de Gênes, qui se fit d’ailleurs, à la demande même des Génois, dans les formes de la consultation populaire et par plébiscite, était une de ces conséquences qui ne cessaient de sortir les unes des autres depuis que la Révolution avait franchi les anciennes frontières. Thiers explique fort bien que les raisons, elles‑mêmes venues de plus loin, qui avaient déterminé l’annexion du Piémont, déterminaient l’annexion de Gênes. Enclave de l’empire français, sans issues ni débouchés du côté de la terre, bloquée du côté de la mer par les Anglais, Gênes étouffait, dépérissait et vota l’annexion avec joie, tandis que, d’autre part, la possession complète de ce port était utile pour soutenir en Méditerranée la lutte contre l’Angleterre. De même la petite république de Lucques s’offrait à la France. Napoléon refusa de l’incor-