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LE FOSSÉ SANGLANT

qu’il n’en fît pas une impératrice. Et il savait bien qu’il n’avait pas d’enfant à attendre d’elle. Mais lui-même, était‑il sûr de procréer ? Rien encore ne l’en assurait. Qu’il épousât une autre femme, digne celle-là de son nouveau rang, qu’il n’en eût pas d’enfant non plus, et l’on rirait de lui.

Ces pensées, ces calculs, il les cachait à Joséphine qui en devinait une partie. Elle avait peur pour elle‑même de l’Empire, de toutes ces grandeurs dangereuses. D’être associée au couronnement, comme son mari le voulait, ne la rassurait encore qu’à demi. Et si, pour elle, simple concubine aux yeux de l’Église, le sacre allait ne pas être valable ? Alors elle s’avisa d’un scrupule religieux, d’un scrupule de conscience. À Pie VII en personne, sous le secret de la confession, elle révéla ce qui manquait à son mariage, ce qui allait rendre la cérémonie de Notre‑Dame sacrilège. Le tour était joué, bien joué, le dernier mais le meilleur des stratagèmes qu’elle eût employés avec son petit Bonaparte. Le pape fit savoir qu’il refusait de sacrer Joséphine en même temps que son époux si, auparavant, ils ne se mettaient pas en règle. Napoléon, furieux, dut en passer par là. Dans la nuit qui précéda le couronnement, en grand secret, à la chapelle des Tuileries, l’oncle Fesch, devant Talleyrand et Berthier, unit les deux retardataires. Joséphine alla à Notre‑Dame, rayonnante. Cette fois, dûment mariée, couronnée en outre, riche de deux sacrements, elle se croyait sûre de l’avenir.

À la veille de cette chose fabuleuse — le saint chrême, le sacrement, pour eux, des Augustes et des Rois — qu’on ne les imagine, ni lui, ni elle, penchés sur leur passé et méditant une destinée qui sort à ce point de l’orbite commune des mortels. Grands ou petits parvenus, personne ne s’attarde à ces retours en arrière. Dans les journées qui précèdent le sacre, Napoléon et Joséphine sont à leurs affaires, à leurs intérêts, au cérémonial et aux toilettes, à la répétition du cortège, de l’entrée, des