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LE FOSSÉ SANGLANT

selon les volontés du premier Consul, le 10 mars, conseil auquel assistent Cambacérès, Lebrun, le grand juge Régnier, Fouché et Talleyrand. L’arrestation en territoire étranger est décidée, sans souci du droit des gens, ou plutôt avec la certitude que le margrave de Bade s’inclinera. Cambacérès risque un mot. Bonaparte fait rentrer sous terre l’ancien président du Comité de salut public : « Vous êtes devenu bien avare du sang des Bourbons. » La résolution prise, Berthier, ministre de la Guerre, est chargé de l’exécuter avec M. de Caulaincourt. Dans l’affaire, on mêle le nom de ce gentilhomme, dont la famille, jadis, a été attachée à la maison de Condé. Caulaincourt, c’est la noblesse ralliée, qui doit jouer un bout de rôle dans la tragédie pour y être compromise.

Mme  de Rémusat doit être crue dans cette partie de son récit parce que tout y porte la marque de ce qui ne s’invente pas. Dame du palais, informée par Joséphine de ce qui se prépare, elle observe le premier Consul. Elle le voit, dans la soirée qui précède la nuit de Vincennes, résolu, impénétrable, écartant toute allusion, puis affectant la gaieté et la raillerie, chantant entre ses dents, et soudain, selon son habitude, disant à mi‑voix des vers. Est-ce pour donner le change, ou bien parle‑t‑il tout haut d’une lutte qui se livre en lui ? Ce sont des vers de son poète préféré, celui qu’il eût voulu faire prince, où il y a le mot de clémence. Il pourrait aussi bien se répéter, selon la même tragédie cornélienne : « Et ces crimes d’État qu’on fait pour la couronne… »

Quand Bonaparte avait prononcé : « Ma politique », personne, dans l’entourage, ne se permettait plus un sentiment ni une pensée. L’affaire du duc d’Enghien, c’est la politique du premier Consul, son « coup essentiel ». Il n’en livre rien au hasard. La mort d’un Bourbon est cherchée. Celui-ci, qu’on a sous sa main, sa mort est implacablement voulue.

Dans la nuit du 14 au 15 mars, des gendarmes