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LE FOSSÉ SANGLANT

eût voulu retenir cette paix dont le bienfait lui avait valu tant de popularité et de reconnaissance, tandis que la raison lui disait que la guerre était inévitable. Déjà, au mois de mars, dans sa grande scène à Lord Whitworth, et plus encore au lendemain de cet éclat, il avait montré le flottement de sa pensée, emporté, irrité, menaçant lorsqu’elle lui représentait ce qui ne pouvait être chez les Anglais qu’une volonté inflexible, puis revenant tout de suite à l’espoir d’éviter la rupture. Il était trop intelligent pour ne pas comprendre que cette guerre serait un duel à mort. Il l’accepta comme une loi du destin avec laquelle il était inutile de ruser. Ainsi l’acceptait la France. On comprenait que c’était toujours la même guerre qui durait depuis 1792. Et sur qui, pour l’achever, pouvait‑on compter, sinon sur le premier Consul ? S’il eût cessé d’être l’homme indispensable — et il n’en est guère qui le soient dans la prospérité et le repos — il le fût redevenu par la rupture de la paix d’Amiens.

Cependant l’ennemi lui‑même le désignait et, en la menaçant, rendait sa tête encore plus précieuse. Bonaparte avait donné à la France un gouvernement. Il lui avait restitué l’ordre, la force par le commandement d’un seul. Il l’avait rendue plus redoutable. Tant qu’il serait là, il serait difficile de lui arracher la Belgique et de la ramener à ses anciennes limites. Ainsi tout ce qui faisait que les Français voulaient le conserver faisait aussi que l’ennemi voulait l’abattre. Il fallait vaincre Bonaparte ou il fallait le tuer, ce qui était plus court. Froidement, le cabinet de Londres fit ce calcul, la disparition de cet homme pour abréger une guerre inexpiable, épargner peut‑être des millions de vies.

L’Angleterre n’aura pas besoin de chercher des assassins à gages, de recourir à des sicaires. Les agents d’exécution s’offrent, tout prêts, les mêmes, ceux « du coup essentiel », royalistes désintéressés jusqu’au fanatisme, que l’apothéose du Consulat a