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NAPOLÉON

que la Révolution était achevée au-dehors comme au-dedans ? A-t-il cru à la paix définitive ? A‑t‑il désiré que la guerre reprît parce que son autorité et sa gloire étaient attachées à la guerre ?

Il serait vain de vouloir sonder ses intentions et sa conscience. Il est plus sûr d’interroger ses actes. Ils répondent avec certitude que, pendant plusieurs mois, le premier Consul se comporte comme si, le statut de la France continentale étant à l’abri de toute contestation, la paix avec l’Angleterre étant assurée, il voulait rendre au pays ce qui avait été perdu pendant la Révolution, des colonies, une marine. L’expédition destinée à reprendre, sur les noirs affranchis, Saint-Domingue, perle des Antilles, l’acquisition de la Louisiane rétrocédée par l’Espagne contre le royaume d’Étrurie à un infant, attestent un plan dont on peut d’autant moins douter que la Louisiane fut hâtivement vendue aux États‑Unis pour 80 millions dès que la reprise de la guerre avec les Anglais devint certaine. On a accusé Bonaparte d’avoir, par calcul, envoyé à Saint-Domingue ou dans les îles des officiers de l’armée du Rhin — tel Richepanse — dont il avait intérêt à se défaire. Mais beaucoup d’officiers, désolés de la paix et redoutant la demi‑solde, avaient sollicité pour faire partie de l’expédition, à la tête de laquelle le premier Consul avait mis son propre beau‑frère, le général Leclerc, en ordonnant à Pauline de suivre son mari. La campagne de Saint-Domingue se terminera par un désastre. Leclerc y mourut. On renonça à reprendre la fertile Haïti.

Alors on renoncera surtout à rendre à la France sa place sur les mers. Déjà, les premiers signes d’une renaissance maritime et coloniale ont rallumé la jalousie, l’inquiétude des Anglais. Comment n’eussent-ils pas senti qu’une France qui commençait à Anvers pour se prolonger jusqu’aux plus belles rades italiennes était pour eux un péril et ne tarderait pas à les supplanter dans leur ma-