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NAPOLÉON

tantôt qu’une société ne se compose pas de « grains de sable », tantôt qu’il importe, pour balancer l’organisation visible de l’Église et celle, plus secrète, des royalistes et des anciens chouans, de former en cohortes les hommes qui se sont signalés par des services rendus à la Révolution et au régime nouveau. Il représente enfin que, civile autant que militaire, sa Légion d’honneur dérive naturellement des « listes de notabilité » conçues par Sieyès, qu’elle est, avec son grand Conseil au sommet, une pyramide, comme le système de Sieyès lui‑même. Et, dans tout cela, il y a du vrai. La Légion d’honneur, elle non plus, n’est pas sortie tout armée du cerveau de Bonaparte. Elle est un retour aux anciens usages mais ingénieusement adaptés à la France moderne. Et puis, au gré d’un dictateur qui se méfie de toutes les castes, surtout de la caste militaire, il ne faut pas que le soldat soit trop distinct du reste de la nation. La Légion d’honneur est beaucoup de choses à la fois. Sur la poitrine du sabreur, du savant, du manufacturier, elle est encore un moyen de fondre ensemble les Français comme elle est un moyen de faire passer sur la suppression des « listes de notabilité », dernier vestige de l’élection dans les institutions de l’an VIII.

Ces institutions elles‑mêmes, pour les harmoniser avec le Consulat à vie, il les transforme. Elles deviennent déjà celles de l’Empire et il y aura peu à changer à la Constitution de l’an X pour en tirer la Constitution impériale ; et même, la Constitution impériale sera nécessaire pour achever la Constitution de l’an X. Tout cela s’accomplit sans coup d’État, sans violence. Quelque irrité qu’il fût contre les assemblées qui faisaient une opposition opiniâtre à tout, à son Code civil, à son Concordat, à sa Légion d’honneur, et, moins ostensiblement, à sa personne, Bonaparte a écouté Cambacérès qui lui conseille de ne rien brusquer, de ne pas épurer