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NAPOLÉON

les Bourbons pour les remplacer par la famille Bonaparte. Et, tous les jours, le système de la fusion ramène un peu du passé. Le Concordat a rétabli la hiérarchie catholique. Un sénatus-consulte, procédé commode, dont l’emploi devient toujours plus fréquent, accorde aux émigrés une amnistie générale, compensée, d’ailleurs, par la promesse solennelle aux acquéreurs de biens nationaux que leur propriété restera sacrée. Voilà les royalistes qui rentrent en masse. Tout cela, pour les hommes de 1793, fait bien de la réaction. Et c’est vrai que, déjà, dans son cœur, à son insu, Bonaparte s’est pris de goût pour ces gentilshommes qui ont gardé les usages de Versailles, tel M. de Narbonne qui plut en présentant une lettre sur son chapeau. On a remarqué que « les manières recommandaient auprès de Napoléon ». Il n’apprécie pas moins l’habitude du dévouement à la personne du prince. Ainsi naît en lui un sentiment nouveau qui fera un homme double comme ses intérêts eux‑mêmes, monarchique par situation, révolutionnaire par les racines de son pouvoir et ne pouvant fonder sa monarchie qu’en gardant le contact avec la Révolution.

Stendhal observe bien : « On a dit que Napoléon était perfide. Il n’était que changeant. » Et il changeait, il n’avait pas de plan arrêté, comme il l’avouera à Las Cases, il semblait même n’avoir pas de suite dans les idées, comme l’observait Molé au Conseil d’État, parce qu’il avait conscience de se mouvoir dans le précaire, l’instable et le contradictoire. Le vœu décevant du Sénat est encore une leçon et qui servira pour l’établissement de l’Empire. La complaisance d’une assemblée ne garantit donc rien ? Et même, tout est perdu si le premier Consul se contente d’une simple prorogation de pouvoir accordée par une assemblée. Alors il se décide soudain. Il passe par‑dessus le Sénat comme par‑dessus les autres corps et il