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NAPOLÉON

cardinal légat Caprara, il donne des «  coups de boutoir ». Alors c’est le chef de l’État français qui parle, qui souvent menace, qui impose ses conditions, maintient les prérogatives de l’Église gallicane, rappelle au Saint-Siège, sinon Philippe le Bel, du moins (il y tient beaucoup) saint Louis et Louis XIV. Pour ministre des Cultes, il prend un catholique, un homme d’ancien régime, Portalis, qui rétablit dans la correspondance de Napoléon avec les évêques les formes suaves et décoratives dont l’ancienne aumônerie royale avait le secret. Mais Portalis est choisi pour sa docilité, son obéissance au maître, et, en termes exquis, il rappellera le clergé aux devoirs des sujets envers le prince.

Car déjà, dans l’imagination puissante de ce jeune homme, de ce petit Corse qui n’a vu qu’à peine et de loin les derniers jours de la France monarchique, se forme l’idée de renouer la chaîne des temps. C’est la pensée d’André Chénier transposée dans la politique, c’est la plus grande de ses audaces. Sur des fondements nouveaux, recommencer l’histoire, ambition sans doute, mais qui n’est pas à la portée du vulgaire parce que c’est une conception d’intellectuel, de cérébral qui est de plain‑pied avec l’histoire et qui a le sens de la grandeur historique. Ces hardiesses de l’esprit, il les avait déjà avec ses livres, à Valence, dans la chambre meublée de Mlle Bou, à huit livres huit sols par mois. Il est le « poète en action » que Chateaubriand reconnaîtra et, parce qu’il est un poète qui agit, les grandeurs lui sont naturelles. Rien ne l’étonne, ne l’intimide, ne le rend ridicule non plus. Alors, pour prononcer le panégyrique du Concordat, pour s’entendre comparer a Pépin et à Charlemagne, il choisit M. de Boisgelin, cardinal-archevêque, le même qui, vingt-cinq ans plus tôt, avait prononcé le sermon du sacre de Louis XVI. Et Joséphine, mariée civilement, avec Barras pour