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À LA MERCI D’UN COUP DE PISTOLET

second, comme s’il eût attendu la consécration de Marengo pour parler de haut à l’héritier de l’antique monarchie française, la réplique vint. Elle était sonore et fière : « Vous ne devez pas souhaiter votre retour en France ; il vous faudrait marcher sur cent mille cadavres. » En même temps, réplique polie, qui laissait aux conversations une porte ouverte : « Je ne suis pas insensible aux malheurs de votre famille. Je contribuerai avec plaisir à la douceur et à la tranquillité de votre retraite. » Louis XVIII avait sondé les dispositions de Bonaparte, qui, à son tour, sondait celles du prétendant dans l’idée, peut‑être, que le chef de la maison de France renoncerait à ses droits, ne laissant plus d’obstacles à un « changement de dynastie ». Mais Bonaparte se trompait sur Louis XVIII, au moins autant que Louis XVIII avait pu se tromper sur Bonaparte.

Seulement, à partir de ce jour‑là, les royalistes devinrent pour le premier Consul des ennemis mortels. Leurs dernières illusions étaient tombées. Sa perte fut jurée par des hommes d’une audace et d’une persévérance extraordinaires, formés dans les luttes sans pardon de la chouannerie. Il ne s’en doutait pas. S’il se croyait menacé, c’était par les jacobins. Pour la cinquième fois, ne tentaient‑ils pas de l’assassiner ? Le complot, du reste obscur et que l’on dit inventé par la police, d’Arena (qui avait été son adversaire en Corse), de Ceracchi et de Topino-Lebrun, le renforça dans la conviction qu’il fallait se débarrasser de cette engeance.

Mais tout attentat ravive autour de lui, dans sa famille, chez les brumairiens, dans le public, la pensée qui était déjà au fond des conspirations de Marengo. Qu’un poignard, un pistolet atteignent le but, qui succédera au général Bonaparte ? Là‑dessus, par hasard ou à dessein, la Constitution est muette. Et ce silence, « ce vide dans le pacte social », stimule les meurtriers puisque la mort de l’homme remettrait tout en question. Alors, la pensée qui com-