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NAPOLÉON

prévu et que l’on crut un moment insurmontable. Des anecdotes bien placées effacèrent ces mécomptes et la peinture immortalisera le maigre César méditatif franchissant les Alpes comme Annibal. À la descente, la délivrance de Milan, qui renouvelait les miracles de 1796, les fleurs, les chants, la résurrection de la République cisalpine, ranimèrent les temps héroïques. Les Autrichiens, occupés à la prise de Gênes et sur la ligne du Var, étaient tournés. Mais lorsqu’ils lui firent face, Bonaparte manqua à son principe majeur. Il faillit perdre la bataille, peut-être parce qu’il pensait trop à ce qui se passerait à Paris si la bataille était perdue. Ce fut lui qui dissémina ses forces tandis que, pour se frayer un chemin, Mélas, à Marengo, fonçait avec toutes les siennes.

À trois heures, Bonaparte était vaincu et Mélas annonçait déjà sa victoire à Vienne. Tout changeait à cinq heures par l’arrivée de Desaix qui tombait aussitôt, percé d’une balle. Il ne disputerait même pas l’honneur de la journée au premier Consul qui ne marchanda pas les éloges funèbres à ce glorieux mort.

Que de bienfaits dispensait à Bonaparte son étoile ! Le même jour, Kléber était assassiné au Caire d’où il serait revenu en accusateur. Supposons une défaite à Marengo, tandis que l’expédition d’Égypte allait s’achever par une capitulation, que fût‑il resté du 18 Brumaire ? On n’eût même plus voulu croire au grand capitaine. Il fût redevenu le « Scaramouche à figure sulfureuse ». Un historien allemand a dit avec dureté qu’il eût fait « la risée de l’Europe ».

À Paris, cependant, c’est l’alarme. La nouvelle arrive d’une bataille perdue, d’un général tué. Entre les Consuls restés à Paris, entre les ministres, les hommes politiques, les brumairiens, les conciliabules se multiplient. Il semblait si naturel que le nouveau pouvoir dût être d’aussi brève durée que les précédents, si conforme à l’ordre des choses