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NAPOLÉON

forcé que les Conseils eux-mêmes, les sentant impopulaires, se disposaient à abroger. Bonaparte en personne alla délivrer les otages au Temple. Dans le ministère même, plusieurs des titulaires restèrent en fonctions. Le portefeuille de l’Intérieur fut donné, pour contenter les intellectuels brumairiens, au savant Laplace. Enfin, pour qu’il y eût égalité entre les trois consuls, il fut convenu que chacun d’eux présiderait chaque jour, ce qui n’alla pas sans quelques froissements entre Bonaparte et Sieyès. Il fallut encore, pour tout arranger, l’intervention de Talleyrand qui retrouva ainsi le portefeuille des Affaires étrangères. Bientôt, Roger‑Ducos, personnage effacé, ne faisant rien ou pas grand‑chose, ce fut Bonaparte qui, d’un commun accord, se chargera de la direction des affaires, tandis que Sieyès mettait la dernière main à sa Constitution.

On s’est beaucoup moqué de ce chef‑d’œuvre de l’éternel constituant que Bonaparte aurait sabré en quelques mots. La vérité est assez différente. L’idée essentielle de Sieyès, et elle fut, en somme, respectée, était la même que celle de l’an III. Les brumairiens, continuateurs des thermidoriens, songeaient comme eux à perpétuer, dans l’ordre rétabli, à l’abri des entreprises royalistes ou jacobines, le résidu de la Convention. Et là, du moins, le système de Sieyès était génial à force d’être simple. Le Directoire avait cassé les élections qui lui étaient contraires. Sieyès abolissait l’élection. Le peuple ne désignerait plus que les éligibles. L’ancien régime avait les Notables. On aurait des « listes de notabilité ». Cela fait, un Sénat, dont le noyau primitif serait composé d’anciens conventionnels, choisirait sur la « liste nationale » les membres de deux autres Assemblées, le Tribunat chargé de discuter les lois que le Conseil d’État aurait préparées et le Corps législatif chargé de les voter sans mot dire. Napoléon n’eut plus tard qu’à supprimer le Tribunat pour supprimer la parole. Mais la souveraineté du peuple, les libertés