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était faite pour séduire un jeune homme ambitieux. Mais, en 1864, le bénéfice de l’opération était bien hypothétique. Dira-t-on que, dès l’origine, Louis II avait revendiqué sa part d’immortalité ? « Quand nous aurons disparu tous deux depuis longtemps déjà, écrivait-il, notre œuvre sera là encore pour ravir les siècles… » notre œuvre ! c’est presque une hypothèque en garantie de ses bienfaits. Mais, à ce mot près, Louis II fut un créancier si peu avide qu’on peut bien croire à son désintéressement. Et ce désintéressement fut bien placé. Le souvenir du quatrième roi de Bavière n’eût certes pas mérité de vivre par les succès politiques de son règne. Ses tristes fantaisies de solitaire et sa fin tragique n’eussent servi qu’à le faire plaindre. Par Wagner il s’est associé à un grand chapitre de l’histoire des idées et de l’art au XIXe siècle. Quoi qu’il doive rester du wagnérisme, Louis II en sera. Par là aussi, plus que par son dévouement douteux à l’Unité et à l’Empire, il aura mieux que sa place, il aura sa page dans les annales de l’Allemagne nouvelle dont la transformation et la résurrection politique furent précédées par le réveil de l’esprit national. Ce réveil, l’art de Wagner, qui triompha par la suite avec la force germanique, avait contribué à le préparer. Telle est l’oeuvre dont sciemment ou non, Louis II s’est fait le collaborateur. Sans Wagner il fût resté une obscure victime de Bismarck, le comparse d’une puissante tragédie. Il n’eût intéressé ni le roman, ni la poésie, ni la légende, ni l’histoire…

Cela fait que, tout bien compté, Richard Wagner est quitte envers son royal bienfaiteur.