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L’accueil enthousiaste et charmant que lui réservait le roi avec la jeunesse de son cœur pouvait cependant émouvoir une nature plus fière encore que celle du poète-musicien. Dès qu’il fut arrivé à Munich, le roi donna l’ordre que son hôte fût conduit au château de Berg celui, où, vingt ans plus tard, prisonnier, Louis II méditera ses projets de fuite et de mort. C’est là qu’il attendait et qu’il reçut le musicien. Et sur les détails et le caractère de cette première entrevue, nous avons l’impression de Wagner lui-même qui, le 4 mai, écrit à son amie, Mme Wille :

« Mon amie, je serais le plus ingrat des hommes si, tout de suite, je ne vous faisais part de mon immense bonheur. Vous savez que le jeune roi de Bavière m’a fait demander. On m’a, aujourd’hui même, conduit chez lui. Il est si beau et si charmant, il est si riche de cœur et d’esprit que je crains de voir sa vie s’évanouir dans-ce monde de fer comme un divin rêve inconsistant. Il m’aime avec l’ardeur et la profondeur d’un premier amour : il sait tout de moi et me comprend aussi bien que moi-même. Il veut que je reste toujours auprès de lui pour travailler, me reposer, faire représenter mes œuvres. Il me donnera tout ce qui est nécessaire pour cela. Je dois achever l’Anneau de Nibelung pour faire jouer ensuite la Tétralogie comme il me conviendra. Je suis mon maître. J’ai un pouvoir illimité. Je ne suis plus un petit chef d’orchestre, mais rien que Moi et l’Ami du Roi. Mon amie, tout cela n’est-il pas inouï ? Tout cela n’est-il pas un rêve ?… Mon bonheur est si grand que j’en suis encore étourdi. Vous ne pouvez vous faire une idée du charme de son regard. Ah ! puisse-t-il seulement demeurer en ce monde ! Il y est une merveille si rare ! »

La surprise avait été vraiment agréable. Wagner avait compté tout au plus sur un commanditaire princier. Il rencontrait un admirateur qui jurait par ses paroles, qui s’éprenait pour lui d’une affection personnelle. Il pouvait considérer à bon droit que l’aventure sortait du commun. Son