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Stuttgart et à Carlsruhe pour demander encore une fois aux directeurs de théâtre de jouer ses œuvres, mais avec toute l’intelligence, tout le luxe, toute la mise en scène qu’elles exigeaient. C’était sa dernière carte. Il était décidé, dit-on, à partir pour l’Amérique si ce suprême espoir était déçu. La fortune vint le prendre par la main au milieu de ces angoisses. C’est à Stuttgart, le 2 mai, que le trouva M. de Pfistermeister. L’envoyé lui rendit compte de sa mission et l’invita à se rendre sur-le-champ auprès du roi, impatient de voir le grand homme…

Wagner put se dire qu’il avait calculé juste, puisque son appel aux têtes couronnées d’Allemagne n’était pas resté sans effet. Un souverain s’était trouvé pour le comprendre et pour le soutenir. Maintenant qu’il pourrait disposer de bons chanteurs, d’un orchestre choisi, d’un vaste théâtre et de riches décors, le succès de la « musique de l’avenir » était assuré. Il ne s’agissait plus que de garder la faveur de ce jeune prince, sur lequel les premières rumeurs du public et de la presse faisaient déjà planer du mystère.

Certes aussi, Wagner était tout prêt à reconnaître l’immense service qui lui était si généreusement rendu. Il y aura une part d’incontestable sincérité dans les remerciements qu’il adressera à Louis II, en dépit de la fâcheuse littérature dont il les entourera par mauvais goût personnel autant que par opportune courtisanerie. Cependant, ce serait mal connaître l’orgueil, légitime peut-être, et le robuste égoïsme du génie, si l’on s’imaginait que cette distinction royale l’eût ébloui ou même flatté un seul instant. Conscient de sa valeur, il sait ne recevoir que ce qui lui est dû.