Page:Jérusalémy - Le Festin du jour de l’an à Tahiti.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui, de l’avis-même de la majorité du district, n’a pas été sollicitée dans ce cas. « Le raatira (chef) a raison ! c’est bien dit ! » s’empressent de crier en chœur d’une voix avinée et en dodelinant de la tête, les chefs de famille qui s’étaient montrés les plus soucieux de la santé de la république et de la royauté, les plus dévoués au bonheur des représentants de la loi. Mais tout à coup, du centre du carré, une voix enrouée fait entendre ces scandaleuses paroles : « Non, non ! le chef motoï n’a pas dit vrai ! C’est un animal ! Qu’est-ce que c’est que la république ? Je ne la connais pas. Au diable gouverneur et Pomaré ! Je ne connais qu’une reine : hourra pour « l’avaâva » ! À moi une petite tasse, que dis-je, une grande tasse de vin ! » C’est le dernier orateur, qui, dépité, humilié de n’avoir pu continuer à sa fantaisie son interminable discours, s’était accroupi sur le gazon, plein de mépris pour les sommités sociales de l’île, et il profite de l’occasion pour exhaler sa bile. « Voilà la vérité vraie ! Bien parlé ! » marmottent entre leurs dents ou en se penchant sous la table ceux-là mêmes qui venaient d’applaudir à la mercuriale de la force publique. Sans la présence des autorités, la boutade révolutionnaire de l’orateur aviné aurait provoqué de bruyants éclats de rire chez tous les assistants ; mais, devant la colère du chef du district et l’attitude menaçante du commandant de la police, les visages demeurent impassibles, les bouches closes.

Le commandant de police, plein d’expérience dans ces sortes de choses, tire de sa poche les cordes-menottes et fait signe à un de ses agents ; tous deux s’approchent du séditieux orateur, qui, se doutant de la communication qu’on se prépare à lui faire, se dispose à quitter l’enceinte avec des airs de dignité offensée. Mais, prompts comme l’éclair, les agents le saisissent et, malgré sa résistance désespérée, se rendent promptement maîtres du récalcitrant. Alors le chef du district et quelques autorités, pour ne pas avoir à se compromettre dans des scènes de ce genre qui pourraient se renouveler, se lèvent et se retirent un à un pour aller se retrouver soit chez le tavana, soit sur la pelouse, à l’ombre du temple.

Pendant que les gendarmes emmènent le trouble-fête, le