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UN ENFER SCIENTIFIQUE.

Les canonniers, prêts à servir leurs pièces, ont interrompu les manœuvres commencées. Cette bataille où la terre a brisé, anéanti une armée, leur fait l’effet d’un rêve. Et Aberleen exprime ainsi la morale qu’il tire de l’aventure :

— Ce Drapeau Bleu ! S’il lui plaisait, pas un de vous ne sortirait d’ici.

Parole grave dans la bouche de l’un des commandants en chef. Elle constate l’inutilité de l’expédition envoyée par l’Europe ; l’impossibilité de vaincre un adversaire qui, protégé par une ceinture presque infranchissable de déserts montagneux, dispose en outre de la plus effrayante puissance scientifique que possédât jamais un humain !

Labianov ne répond pas. À quoi bon ? N’est-il pas évident qu’il pense comme son collègue. Tous deux à cet instant comprennent que les trônes, les couronnes, sont irrémédiablement condamnés par la logique même du progrès.

Qu"est le pouvoir impérial, royal, auprès de celui-ci ? Une convention admise, que la volonté d’un peuple peut dénoncer à toute heure.

Tandis que la science, elle, est une vérité palpable, terrible ou douce, à l’étreinte de qui nul ne se peut soustraire.

Tous deux éprouvent le besoin d’échapper aux regards des officiers, des artilleurs qui les entourent. Il leur faut être seuls, sans témoins, pour exprimer leur prodigieuse stupeur. La victoire foudroyante les laisse moralement meurtris, brisés, sous une impression absorbante de cauchemar.

Une dernière fois, leurs yeux parcourent le champ de bataille. Sans doute, l’électrisation du sol a pris fin. Les soldats maintenant circulent sur le terrain qui naguère se couronnait d’éclairs. Leurs clameurs passent dans l’air. Ils font la moisson d’armes étranges, de coiffures baroques, d’objets aux formes inusitées, que les morts de cette hécatombe électrique brandissaient une heure plus tôt.

Ce spectacle fait frissonner les généraux. Ils se prennent par le bras, et muets, les jambes chancelantes, s’appuyant l’un sur l’autre, ils reviennent lentement vers le quartier général.

Au passage, ils soulèvent la portière de la tente de leurs hôtes, de Mona, de Sara, de Max Soleil, de miss Violet, de ces êtres amis qui leur ont apporté l’alliance de ce Dodekhan, dont ils ont constaté le pouvoir. La tente est vide. Stanislas Labianov a un grand geste vers l’horizon.

— Ils sont là-bas, sans doute. Ils ont voulu voir.

Et plus bas, il ajoute :

— Ils se sont accoutumés à ces merveilles. Dans tout courage entre une part d’habitude.