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UN ENFER SCIENTIFIQUE.

— Je ne saisis pas.

Dodekhan étendit les bras dans la direction des forcenés.

— Vous voyez ces hommes.

— Et je les entends, essaya de plaisanter M. de la Roche-Sonnaille.

— Croyez-vous qu’ils soient mûrs pour la liberté ?

— Certes non.

— Et ces Graveurs de Prières sont une élite parmi les Asiates.

— Pas flatteur pour les autres.

— Et désespérant pour moi, car ils me font comprendre que mon père, que moi, avons cru trop tôt à la possibilité de leur émancipation. Notre signal de liberté serait traduit par un signal de massacres. Et je souffre de penser que ce n’est pas moi qui aurai la sublime joie d’appeler l’Asie à l’indépendance.

Un moment, les deux amis demeurèrent muets, les yeux dans les yeux, puis Dodekhan se passa la main sur le front, comme pour le débarrasser d’un voile flottant sur sa pensée, et d’une voix redevenue ferme :

— Aussi dois-je être ménager du patrimoine légué par mon père. Il faut qu’à l’heure fixée par le destin, celui qui conduira l’Asie à la liberté trouve intactes, les forces accumulées par le génie de Dilevnor.

D’un grand geste, il embrassa les choses qui l’entouraient.

— Ceci est l’arsenal de la liberté. Ceci doit échapper aux Asiates barbares, aux Européens cupides.

Les cris avaient cessé dans le sanctuaire.

Sans doute, les insulteurs, sans en deviner la cause, avaient constaté l’indifférence des prisonniers volontaires ; rien ne décourageant l’injure ou la taquinerie comme l’inattention de qui en est l’objet, ils avaient pris le parti de quitter le temple et d’aller porter ailleurs les manifestations de leur bruyante ineptie.

Dodekhan remarqua la solitude de la salle sacrée.

Il s’approcha de l’entrée du Réduit Central, sans en franchir le seuil toutefois. Avec une attention inquiète, il s’assura que nul Graveur de Prières n’était resté autour de l’autel, des piliers, dans le voisinage des niches brûle-parfums, évidées dans l’épaisseur du roc.

Revenant alors vers son compagnon.

— La petite manifestation quotidienne est terminée. Personne ne viendra nous troubler. Par l’illusion du téléphote, allons faire une promenade parmi nos amis et nos adversaires.

Ce disant, il s’approchait de l’écran gris du téléphote.