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LES ASSOIFFÉS DE LUMIÈRE.

préhensible. Ils écoutaient les révolutionnaires marmonnant des oraisons bizarres, au milieu desquelles se croisaient des appellations peu accoutumées à marcher de conserve.

— Sainte Dame de Kazan !

— République !

Mais les coups de sifflet des maîtres retentissent.

— À la besogne. Larguez les amarres, disent les sifflements stridents.

Le steamer est délivré des liens qui l’attachaient au rivage. Il a un long frémissement, on croirait qu’il exprime sa satisfaction de se sentir libre, prêt à s’élancer sur la piste liquide, au bout de laquelle il trouvera les merveilleux pays d’Extrême-Orient.

Les coups de sifflet se succèdent, se précipitent. La sirène, au timbre grave, quelque peu enroué, se met de la partie. Elle meugle dans la nuit, en lançant une colonne de fumée blanche. Et puis, toute la coque frémit. À l’arrière du bâtiment se produit un léger remous. On est parti.

Comme attirés par une force invincible, les révolutionnaires escortent le steamer jusqu’à l’extrême pointe de la digue, toujours baignés de lumière orangée.

À l’extrémité, ils s’arrêtent. Ils lancent des adieux tendres, où se mêlent encore la Dame de Kazan et la République. Puis, ils demeurent immobiles suivant des yeux le vapeur qui dépasse le môle et s’enfonce dans la nuit.

— Sauvés ! murmure Max.

— Éteignez les tubes, ordonne Mona.

Ses compagnons obéissent. Ils lui remettent les projecteurs qui ont assuré leur sortie du port d’Odessa. Elle va les remettre dans leurs cases, et après elle retombera dans cette folie douce, contemplative, dont elle ne sort que pour stupéfier son entourage par la clarté, la précision de son esprit, aussitôt qu’il applique ses facultés à la lumière.

Cette même pensée traverse le cerveau de ses compagnons. Ils se la disent dans un regard mélancolique ; mais ils n’ont point le temps de l’exprimer par le langage articulé.

Au loin, du côté du môle, deviné seulement au chapelet de lumière, que ses lanternes tracent dans la nuit, des cris assourdis s’élèvent, viennent mourir aux oreilles des passagers.

— Qu’est-ce ?

C’est Max qui chuchote cela.

— La fin de l’hallucination sans doute, dit la duchesse sur le même ton.

— Ils doivent être furieux.