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MISS MOUSQUETERR.

Mais dans sa hâte, il ne remarqua pas une corde tendue en travers de la chambre, corde qui sans doute servait, en l’absence des voyageurs, à étendre le linge.

Son béret s’y accrocha et fut jeté à terre, ce qui amena une débâcle inattendue. Un manteau de cheveux noirs se déroula sur les épaules de l’adolescent. Parfaitement, une chevelure luxuriante, cachée jusque-là sous le couvre-chef, profita de l’accident pour se développer en liberté.

— Patatras, s’écria le personnage. Il ne manquait plus que cela. Ah ! ces cheveux. J’aurais dû les couper. Je n’en ai pas eu le courage. Lucien les aimait ; et puis, vraiment, c’était trop dur de les sacrifier.

Tout en parlant, il réparait le désordre, emprisonnait de nouveau la chevelure rebelle dans le béret qu’il fixait solidement.

— Il ne faut pas être trahie par les siens, conclut-il. Et pareille aventure est à craindre quand, ainsi que moi, l’on a quelques cheveux dans l’existence. Allons, allons, ne pensons plus à cela. La duchesse de la Roche-Sonnaille est morte, au moins jusqu’à nouvel ordre, et l’étudiant Laroche veut savoir ce qu’il fait ici.

Ces paroles expliquaient le joli pied, les frisons sur le front.

La duchesse Sara, entrevue dans la nuit au bastidou Loursinade, Sara, l’ex-pensionnaire du docteur Elleviousse, car c’était elle, conservait en dépit des épreuves traversées, sa gaieté primesautière de gentille parisienne.

Comme on l’avait appris au romancier, elle avait quitté Stittsheim, se dirigeant sur Lemberg, ville autrichienne d’où se détachent deux lignes de chemin de fer : l’une courant, vers le sud et aboutissant au grand port d’Odessa, sur la mer Noire ; l’autre piquant droit vers l’est, franchissant la frontière russe, entre les stations de Brody et de Bodzivillier, pour aboutir, onze cents kilomètres plus loin, à Kiev et à Kharkov.

Or, en arrivant à Lemberg, la jeune femme avait appris qu’elle devrait attendre au lendemain pour prendre un train à destination d’Odessa.

Elle avait fait transporter aussitôt la caisse, signalée par le voiturier Pavel, à l’hôtel de l’Indépendance, dont la façade étrange se dresse sur la place de la Cathédrale. Et ayant installé Mona, dont la folie douce s’accommodait de l’obéissance, dans une chambre voisine de la sienne, elle s’était mise à lire.

Jusque-là, tout apparaissait nettement à son souvenir. Mais en ce point, elle constatait une cassure dans ses idées. Elle avait bien ouvert son livre. Elle avait lu ; oui encore. Qu’avait-elle fait ensuite ? S’était-elle couchée ? Probablement ; elle n’en était pas certaine.