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Au delà, c’était le hasard, le vague, l’inconnu absolu. Aucune carte de ces régions n’existait, car on ne peut donner ce nom à certaines conceptions fantaisistes sans aucune valeur réelle.

Fort heureusement, Baratier constatait que le M’Bomou continuait à être navigable. Sur chaque rive, baignant dans les eaux ses dernières rangées d’arbres, d’arbustes, de lianes touffues, la forêt sans fin formait une falaise de verdure.

Se frayer une route de cinq mètres de large à travers ce fouillis de végétaux, et cela pendant des centaines de kilomètres, représentait un travail si colossal que jamais on n’en serait venu à bout.

Si le M’Bomou supérieur ne se montrait pas praticable, c’était, pour le commandant Marchand, une déception cruelle.

Aussi, le capitaine voyait avec joie le cours d’eau rester profond, le courant à peu près régulier.

Mais ce qui devait être un bonheur pour la mission entière faillit causer la perte de la troupe d’avant-garde.

En pratiquant des sondages pour reconnaître le chenal et le baliser, une des pirogues chavira.

Elle contenait la plus grande partie de la réserve de vivres, la caisse de pharmacie, les instruments géodésiques.

Les voyageurs parvinrent à renflouer l’embarcation ; mais si l’on put sauver la précieuse pharmacie et les instruments, il n’en fut pas de même des vivres.

Et, sur ce ruban liquide, prisonniers entre les épaisses murailles de la forêt, il était impossible à Baratier et à ses hommes de songer à se ravitailler par la chasse.

Le poisson ne manquait pas, mais il exhalait une odeur répugnante et était immangeable.

Cet incident jeta le désespoir parmi les piroguiers et les porteurs.

Le capitaine dut prendre des mesures contre leur mauvais vouloir.

Au sergent Renaud, à ses dix tirailleurs dont il était sûr, il donna l’ordre de se tenir prêts à fusiller le premier qui tenterait de fuir.

L’exécution de cette menace n’était pas nécessaire quant à présent.

Aucun de ces noirs n’eût songé à s’évader par la forêt.