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lagons, de lagunes, où l’on ne trouverait aucun point de repère, car aucun Européen ne l’avait traversé.

Cela signifiait qu’à la fièvre des bois allait succéder la fièvre des marais ; que, très probablement, on allait semer de cadavres ce désert d’eau et de vase ; que, si l’on s’égarait une heure seulement en dehors du bras principal de la rivière des Gazelles, c’était la mort pour tous.

Et une erreur est facile avec un cours d’eau qui se divise en deux cents, trois cents, six cents, mille bras ; qui se mêle, se confond avec vingt autres rivières, pour s’en séparer plus loin, puis les rejoindre encore.

Toutes les probabilités étaient pour l’enlisement, la disparition de la mission.

Cependant le chef avait dit sans phrases, avec cet héroïsme tranquille du soldat de race.

— Le chemin commode nous est fermé, prenons l’autre.

Pas un n’hésita.

Tous répondirent par un murmure admiratif et, gagnés par la contagion, grisés d’une folie généreuse, ils se levèrent en criant :

— Va pour le Bahr-el-Ghazal.

Le commandant Marchand avait craint peut-être de rencontrer, non des résistances — tous ces officiers avaient un sentiment trop vif du devoir professionnel pour résister — mais tout au moins de l’hésitation.

L’enthousiasme de ses compagnons l’émut profondément.

Son visage calme se colora un peu, il y eut sur ses yeux comme une buée humide.

Il serra les mains à la ronde, avec ces seuls mots :

— Mes chers amis !

Mais le ton dont il les prononça fit courir un frisson sur l’épiderme de ceux qui l’écoutaient.

Il avait tout exprimé dans ces paroles. Tout.

Le sacrifice au pays, au drapeau ; la reconnaissance aux fidèles collaborateurs rangés à ses côtés ; la nécessité de se serrer les uns contre les autres pour passer.

Il y avait aussi comme en engagement tacite, solennel et terrible.

— Votre existence à moi ; mon existence à vous.

Les sous-officiers européens furent instruits à leur tour.

Pas plus que leurs chefs ces braves n’hésitèrent.