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soit parce qu’il est un guerrier renommé, soit simplement parce que ses poings sont solides.

— Allez toujours, je vous suis.

— Ils se rendent chez ce personnage, le complimentent, lui déclarent que l’Angleterre chérit les valeureux guerriers ou les lutteurs robustes, exaltent sa vanité en lui affirmant qu’il aurait droit à tous les honneurs. Bref, ils lui confèrent le baudrier rouge avec le titre de « champion de l’ordre » dans le district, et le droit de percevoir une dîme sur ses concitoyens.

Mangin haussa les épaules.

— C’est absurde.

— Pas du tout. Les Anglais ont étudié le noir. L’homme choisi, ayant un signe distinctif, devient aussitôt l’idole d’une partie de la tribu. Enchanté de la façon dont ses mérites ont été proclamés, ravi de pouvoir vivre dans la paresse, grâce à l’impôt dont il frappe ses compagnons, le champion devient un ferme allié de l’Angleterre. Au bout de peu de temps, il est doublé d’un missionnaire qui travaille ardemment à augmenter son pouvoir… et la farce est jouée. Qu’une mission comme la nôtre passe à proximité du village, vite l’agent anglais court à la case du champion. « Ce sont des ennemis, dit-il, ils songent à te déposer et à nommer un champion dans leurs intérêts. » Une telle éventualité serait la ruine pour le bon nègre ; aussi il n’en demande pas davantage, il soulève ses partisans et alors, plus de vivres, des flèches ou des coups de fusil qui partent des broussailles ; nos traînards sont assommés.

— Mais, gronda le capitaine Mangin, on marche sur le village, on le détruit…

— Vengeance platonique.

— Comment cela.

— Les indigènes l’évacuent à l’approche des soldats. Ils le reconstruisent en quinze jours, et le champion, continuant à régner, reste le fidèle ami de l’Angleterre. Pour la mission, elle continue sa route et les mêmes faits se reproduisent dans la tribu voisine. Au bout de trois ou quatre expériences semblables, on s’aperçoit que l’on a perdu du monde sans avantage appréciable. On se décide à marcher vite, à se bien garder, à maintenir une discipline sévère, sans répondre aux attaques des noirs.

— Et ils en concluent que nous avons peur d’eux.