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sionnaires, psalmodient en commun un Pater Noster étrange, peuplé de variantes dans le genre de celle-ci :

— Toi bon Dieu, le père des noirs.

Car dans leur conception naïve de la religion, les Africains expliquent ainsi la Trinité :

Le Père est l’ancêtre des blancs.

Le Fils est celui des noirs.

Quant au Saint-Esprit, il s’occupe spécialement des métis.

Après les diverses cérémonies que nous dépeignons succinctement, tous les nègres, musulmans, chrétiens ou autres, éprouvent le besoin de « calmer la jalousie de leurs anciens fétiches ».

Tous prennent les amulettes, grigris et autres pendeloques, qui brimballent sur leur poitrine, soutenus par une ficelle.

Ils les regardent avec force grimaces, les approchent de leurs lèvres, leur parlent à voix basse, les portent à leurs oreilles, semblant écouter une réponse imaginaire des mystérieux talismans, vendus fort cher dans les tribus par les sorciers ou les griots troubadours.

Cette dernière opération achevée, les tirailleurs s’alignent devant les faisceaux, les porteurs assujettissent leurs charges sur leurs épaules.

On peut partir.

Un clairon donne un « coup de langue ».

— En avant… marche, commandent les officiers.

Les sergents répètent :

— En avant… marche !

Et la colonne s’ébranle.

Un dernier regard à Bangui, puis, ainsi qu’un long serpent, la file d’hommes s’enfonce dans la forêt.

Il fait sombre ici.

La voûte épaisse de feuillage ne laisse passer qu’une lumière vague.

On avance dans une buée grisâtre.

Le grand silence du bois impressionne les noirs. Eux aussi se taisent, l’esprit hanté par les histoires d’esprits malfaisants, au visage de gorille, aux ailes de chauve-souris, dont ces grands enfants s’effraient mutuellement, pendant les jours hivernage.

Parfois un froissement se fait entendre sur les flancs de la colonne.