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Et puis le tableau change.

C’est la salle à manger, le buffet de noyer supportant les plats à fleurs, la table au milieu de laquelle fume la soupière, et la bonne odeur de soupe, et le cliquetis des cuillers dans les assiettes.

Cela aussi s’évanouit.

Le futur explorateur a grandi.

Intelligent, actif, on lui a promis un brillant avenir.

Et son père s’impose les plus durs sacrifices pour lui faire faire ses études dans ce vieux collège de Thoissey, fondé au xviie siècle par Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier.

Comme les tableaux d’un kaléidoscope, sa jeunesse studieuse défile devant ses yeux.

Les classes avec leurs bancs, leurs pupitres marbrés de taches d’encre.

La chaire du professeur qu’occupent successivement des ombres amies, auxquelles on n’a jamais songé depuis que l’on erre dans les solitudes du Continent noir, et qui se représentent maintenant pour panser les blessures de l’esprit, qu’elles ont façonné, pétri dans le sentiment du devoir.

Après cela, ce sont les cours de récréation.

La terre dure et poussiéreuse pendant les jours brûlants de l’été.

Des gamins galopent, ainsi que des poulains échappés, soulevant dans leur course un nuage de poussière.

Tous, tous, il les reconnaît.

Voici Joseph Maidou, le fils de l’épicier qui s’est marié avec la petite Ninette Fauchey, la nièce du patron de l’hôtel du Cheval blanc.

Ah ! il courait bien, Joseph. Il avait surtout une spécialité de décrire à toute vitesse des crochets brusques…

Maintenant il a pris du ventre. Il est père de famille.

Et cet autre… C’est Prosper Landrin.

Il était joufflu, frais et rose.

Maintenant il est blême, voûté, maigre, son crâne est chauve.

Il est avocat ; c’est vrai, mais il ne peut plaider à cause d’une petite toux sèche.

Son père lui a fait faire son Droit à Paris ; il ne s’en remettra jamais.