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avant des masses sombres couronnées de panaches de fumée.

Ces masses grandirent rapidement.

Bientôt on distingua la cuirasse des navires et la gueule menaçante des canons pointés dans la direction où le drapeau français avait été déployé.

Les canonnières avaient une allure triomphale.

On eût cru que ces coques d’acier empruntaient l’insolence, la morgue de ceux qui les montaient.

Elles semblaient dire :

— Le Nil nous appartient ; aucune nation n’est en état de nous en disputer la possession ; nous écraserons ceux qui seront assez follement braves pour se dresser en travers de notre route.

Et le petit canot, insouciant comme un oiseau de France, avance toujours, sous la menace des pièces d’artillerie.

Il est bien français le petit canot.

Il a la vaillance ironique de Gavroche narguant les balles ; un grand cœur dans un corps frêle.

Et pourtant il a un équipage de noirs ; de ces noirs que, dans notre Paris ironique, nous raillons ; auxquels nous accordons une place un peu plus élevée qu’aux chiens, un peu moins haute qu’aux chevaux.

Ces noirs-là sont des Français.

Ils aiment passionnément leurs officiers qui, pour eux, sont l’incarnation vivante de la patrie.

Ils aiment, et ils se dévouent.

Et ils disent parfois, avec cette poésie troublante des peuples neufs :

— Couleur di peau ça pas signifier beaucoup, si sang il est toujours rouge.

C’est vrai. Ils ont le sang rouge comme nous et ils sont prêts à le verser pour notre cause.

Sachons nous souvenir. Sachons aimer, nos frères noirs.

Ils approchent. Ils hèlent les navires anglais.

On leur indique le Fatah, sur lequel le sirdar Kitchener a pris passage.

Les canonnières stoppent.

Le sergent indigène saute sur le pont.

Il salue militairement le généralissime anglais et lui présente la lettre du commandant Marchand.

Kitchener la prend, il l’ouvre, il la lit.