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— Cela suffirait s’ils obéissaient ; mais dans l’espèce…

— Oh ! fit-elle d’un ton las, pourquoi continuer cette conversation ? Dans toute chose importante, nous cédons à votre volonté. Nous étouffons même les murmures qui trahiraient notre honte et notre dégout. Pourquoi parler de cela ? Revenons aux réalités : cette fête du Kremlin. Il vous importe peu que nous y paraissions ou non. N’ordonnez, donc pas. Montrez-vous-y seul ; notre état de santé ne nous permet pas d’accepter.

Il y avait une souffrance aiguë dans ces paroles. Avec une affectation de courtoisie, le voleur riposta :

— Qu’il soit fait ainsi que vous le souhaitez. Un vœu de ma fiancée est un ordre pour moi.

Puis il se retira. Mais il ne ferma pas si vite la porte qu’il ne put entendre Fleuriane gémir :

— Oh ! père, ne préférez-vous pas mourir ?

D’un pas tranquille le coquin rentra dans sa chambre, rédigea en style protocolaire une longue lettre au comte Aïarouseff, par laquelle il acceptait pour lui-même l’insigne honneur d’être reçu au Kremlin et excusait ses amis, très éprouvés par les fatigues d’un voyage sans précédent.

Le soir venu, il revêtit un impeccable habit, se fit amener une voiture et y prit place en lançant au cocher d’une voix insouciante :

— Palais du Kremlin, résidence du gouverneur !

Les deux indications sont nécessaires, car le Kremlin n’est point un palais, mais une enceinte contenant un assemblage de palais et d’églises.

C’est le « Palatin » de l’ancienne Rome.

Bientôt, par le jardin Alexandre, il pénétrait dans l’enceinte interdite au commun des mortels. Déjà une foule nombreuse emplissait les salons, foule bigarrée, chamarrée, où les uniformes des régiments réguliers des cosaques, Tcherkesses ou Turkmènes, se mêlaient aux habits noirs, aux robes à l’instar de Paris, aux costumes étincelants des dames fidèles aux modes asiatiques de l’est russe. Rien, dans nos réunions occidentales, ne saurait donner une idée de ces agglomérations du bassin de la Volga.

Nos bals costumés les plus réussis sentent le théâtre, le faux, le convenu. La Parisienne la plus élégante apparaît gauche, alors qu’elle s’essaie aux draperies des Asiates. Là-bas, ces costumes magnifiques sont ceux que, tout enfant, on apprit à porter. Les corps ont naturellement les attitudes que comman-