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Mais son interlocutrice secoua désespérément la tête.

— Non, non, ce n’est pas cela. Comme tout le monde, j’ai eu des crises de dyspepsie… Ce n’est pas cela ; non, non… je souffre le martyre, des gouttes de plomb fondu s’enfoncent dans les parois de mon estomac… C’est horrible, épouvantable. Si cela doit continuer, tuez-moi… je préfère mourir.

Les traits contractés de Mme  Patorne, ses regards hallucinés, disaient qu’elle n’exagérait pas sa souffrance. À tout hasard, Mlle  Defrance reprit :

— Du lait peut-être ?

— Inutile, j’ai essayé déjà.

Puis, brusquement, comme prenant son parti, la dame de compagnie murmura, après un gémissement lamentable :

— Approchez-vous, chère demoiselle, approchez… Plus près, plus près encore.

Elle avait empoigné la main de la jeune fille et la serrait nerveusement, ses doigts s’incrustant dans la chair de son interlocutrice, effrayée de la voir dans cet état. Ainsi elle amena l’oreille de Fleuriane tout près de ses lèvres et, d’une voix haletante :

— Je veux vous confier… vous confier… ce que je crois.

— Je reviendrai tout à l’heure, ma chère amie, je vais envoyer chercher un médecin qui vous soulagera certainement.

Mais la malade se cramponna plus étroitement à elle.

— Non, je veux vous dire. Je crois… je crois que je suis empoisonnée.

Rien de sinistre comme l’idée du poison. Le poison, cette arme anonyme du lâche criminel, qui atteint la victime en pleine santé, sans qu’elle puisse se défendre.

La Canadienne frissonna au mot prononcé par la dame de compagnie. Mais aussitôt elle se rebella contre pareille idée. Empoisonnée, par qui ? pourquoi ? Il y avait là une de ces idées fixes nées de la souffrance. Elle tenta de raisonner son interlocutrice, de lui démontrer l’inanité d’une telle supposition.

Mais Mme  Patorne insista. Elle tenait à son idée.

— Si, empoisonnée. Je vous affirme que le poison seul peut expliquer mes tortures.

— Mais qui aurait pu vous donner du poison ? s’écria Mlle  Defrance énervée par l’entêtement de sa dame de compagnie.