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Le « patron », nonchalamment étendu dans un fauteuil, apparaissait grand, mince, presque maigre.

Son attitude molle, affaissée, eût fait croire l’énergie absente en lui, si le visage n’avait révélé l’homme de volonté.

Visage curieux, peut-être beau, à coup sûr étrange, avec ce front très développé sous les cheveux d’un blond doré, avec ces yeux noir-bleu, enfoncés sous l’arcade sourcilière, ce menton ferme. La face soigneusement rasée, d’une parfaite distinction, radiait, si l’on peut s’exprimer ainsi, de la pensée incessamment en éveil.

Le serviteur, un gamin de quatorze ou quinze ans, portant encore la livrée marron à boutons d’or d’un grand journal parisien, était allongé sur un sofa.

Tous deux semblaient s’être replongés, l’un dans ses réflexions, l’autre dans son sommeil.

Soudain, un carillon électrique retentit.

D’un bond, le petit chasseur Jean Brot fut sur ses pieds et chuchota à voix basse :

— Monsieur a sonné ?

L’interpellé secoua la tête ; du geste il indiqua la porte conduisant à l’antichambre. Cela suffit. Jean glissa sans bruit sur le tapis et disparut par l’ouverture désignée.

— Qui peut venir me troubler ici ? grommela le personnage affalé sur le fauteuil. S’être perdu dans ce grand Paris, avoir loué mystérieusement une garçonnière, au fond d’une cour, dans cette paisible rue Juliette-Lamber et recevoir une visite !…

Il s’interrompit. Jean reparaissait sur le seuil, susurrant d’une voix légère comme un souffle :

— Une dame.

— Je n’y suis pas.

— Je l’ai dit.

— Eh bien ?

— Eh bien, la dame a répondu : « Parfait, passez ma carte à sir Dick Fann. »

— C’est trop fort !

— Elle a ajouté : « Il excusera. Question de vie ou de mort »

— Ah !

L’exclamation souligna un véritable changement à vue, Dick Fann, puisque tel était le nom du personnage, se redressa d’un coup. Tout à l’heure, il apparaissait veule, alangui, paresseux ; maintenant, son