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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

à se massacrer… Je veux marcher dans le sang ! Je veux la plaine immense tapissée de cadavres sous le ciel rougeoyant d’incendies. Meurent les gracieux éphèbes, espoirs de l’avenir ! qu’elles meurent les jeunes filles aux voix de cristal ! Mort… mort à tout ce qui est ! Et que sur la terre ravagée, ruinée par le fer, par le feu, seul je dresse ma hideur, seul je triomphe, foulant aux pieds de mon porteur tous les bonheurs changés en pleurs, tous les rires agonisants !…

Les assistants courbèrent la tête.

Ils se sentaient écrasés par la puissance de haine de cette loque humaine, dont le verbe sonnait, lugubre ainsi qu’un glas, annonçant les terribles massacres d’hommes.

Ces idées de folie furieuse, exprimées par le Graveur de Prières, prenaient un caractère de grandeur satanique. Cet être monstrueux, dégradé, conservant un cerveau puissant, capable de réaliser ses conceptions sanguinaires, ne leur apparaissait plus un humain.

Il était un monstre, vomi par les enfers brahmaniques, une conception monstrueuse et hétéroclite du destin, évadée des stances mystérieuses des Védas.

Et, cependant, la petite duchesse, avec ce courage inconscient de la femme de France, qui pousse à attaquer plus qu’à se défendre, persifla :

— Voilà un joli rêve… les garçons des abattoirs doivent en avoir de semblables.

Il l’interrompit rudement :

— Taisez-vous ?

Elle demeura interloquée par la violence de l’ordre. Lui reprit :

— Je vous ai montré à nu ma pensée… D’abord, parce qu’il m’importe peu désormais qu’elle vous soit connue, que vous l’ébruitiez même si vous en avez l’occasion ; ensuite, afin de vous persuader que s’accomplira ce que j’ai décidé, que rien ne pourra entraver la marche des événements… que vous devez subir ma volonté.

Sara essaya encore de marquer une résistance :

— Nous ne la connaissons que bien vaguement.

— Sara ! supplia doucement Lucien, angoissé.

Mais Log plaisanta :

— Vous craignez pour elle, monsieur le Duc ? Cela est gentil de la part d’un bon époux qui a failli con-