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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

Ces gens-là sont des Européens ; on les tromperait pour le plaisir.

Mais changeant de ton :

— Tu n’as plus besoin de moi, Seigneur ?

— Non.

— En ce cas, laisse-moi retourner à l’hôtel. Le gérant n’est pas commode et s’il me mettait à la porte…

Sur cette réflexion, le singulier domestique exécuta un salut mi-indigène, mi-européen, et reprit en courant le chemin par lequel il était venu.

Un instant plus tard, il avait disparu dans une rue adjacente.

D’un bon pas, l’Annamite marchait maintenant, sifflant un air importé au théâtre d’Haïphong par une troupe de music-hall en tournée, soulevant sur son passage les abois des chiens errants et les protestations des habitants regagnant leurs demeures.

Ainsi, il arriva sur le boulevard de Sontay.

Là, son allure changea du tout au tout.

Plus de coups de sifflet, une démarche posée, une affectation de politesse à céder le passage aux personnes qui croisaient sa route.

L’explication de la métamorphose s’offrit bientôt à ses regards. La façade de l’Hôtel de France se dressait en bordure de l’avenue, et c’était là que Pho-Doc, ce galopin tonkinois, exerçait, on a vu comment, ses fonctions de boy.

Un concert de vociférations accueillit son apparition. Le gérant, le portier, deux femmes de chambre clamèrent en même temps :

— D’où viens-tu ?

Il les regarda d’un air contrit.

Son humilité feinte apaisa aussitôt le gérant, un brave homme, qui reprit :

— C’est pour la malade… On demandait le médecin, afin qu’il soit là quand elle va reprendre connaissance.

— Le médecin ? J’en viens.

— Tu en viens ?

L’astucieux boy fit mine de pleurer.

— Oui… j’ai entendu la voyageuse qui réclamait le médecin… j’ai filé au plus vite… je croyais bien faire, moi.

— Et tu as bien fait, s’écria le gérant en lui passant la main sur la tête… C’est de l’initiative, cela,