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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

ses lèvres, brille en ses yeux, rutile sur son nez. Sans un reproche, sans une menace, son haut interlocuteur a laissé tomber cet ordre :

— Sifflez le rassemblement.

— Le rassemblement, bien, Excellence.

Ravi, transporté, il souffle à toute haleine dans son fifre, qui égrène les modulations appelant la milice aux armes et sur les rangs.

Ah ! sapristi, il ne soupçonnait pas le coup de théâtre qu’il allait provoquer[1].

Par les croisées ouvertes de la caserne jaillissent au dehors des cris, des jurons, des hurlements. Le fifre appelle toujours.

Alors des voix autoritaires retentissent :

— Quatre jours de consigne !

— À la salle de police, ce soir.

— Ça m’est égal… répondez au ralliement…

Puis un brouhaha, le tintamarre d’une course éperdue… et enfin le portail, auprès duquel se dresse la guérite aux couleurs teutonnes, vomit sur la place cent cinquante soldats qui se bousculent, s’alignent, s’efforcent de prendre l’air martial de parade, nonobstant leur uniforme inusité.

Tous sont seulement revêtus de la chemise d’ordonnance.

Hermann est tellement surpris qu’il pense avaler non fifre. Il interrompt sa mélodie, et la gorge sèche, l’ivresse obscurcissant son jugement :

— Tonnerre ! murmure-t-il… on a changé la tenue pendant mon absence… Si l’on remarque la mienne, je suis perdu.

Avec un empressement terrifié, il arrache son dolman, son pantalon, les jette au loin, et… Et, oublieuse de la discipline, de l’alignement… toute la troupe se précipite à quatre pattes, se roule sur le sol, se bourre et s’invective, chacun cherchant à s’emparer de ces effets d’habillements, manne tombant du ciel devant ces guerriers en chemise.

La force armée de Kiao-Tchéou pouvait enfin disposer d’un dolman et d’une culotte pour cent cinquante miliciens, soldats et gradés !

  1. Cette situation incroyable s’est produite à Tao-Toung où, durant une nuit, la société secrète de l’Éventail Jaune cambriola totalement la bourgade.