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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

Puis, il glissa plutôt qu’il ne marcha vers une porte pleine, faisant vis-à-vis à celle du jardin, l’ouvrit sans bruit et disparut.

Ce mouvement, comme les précédents, parut n’avoir pas été perçu par la duchesse de la Roche-Sonnaille.

Aucun mouvement ne trahit d’abord qu’elle y eût prêté attention. Après un instant cependant, elle se leva, tourna sur elle-même, en étendant les bras, en ce geste familier et gracieux d’une personne engourdie par une longue immobilité. Maintenant, elle faisait face à la porte vitrée.

D’un pas ferme elle pénétra dans la salle déserte, prêta l’oreille, et, rassurée sans doute, elle courut à l’étagère, saisit les vases à eau, portant à droite celui de gauche et réciproquement.

Puis, preste comme un sylphe, elle rejoignit son siège de jardin, s’y laissa tomber et reprit son attitude somnolente.

Elle ne se détourna qu’au bruit fait, en entrant dans la pièce sous la conduite de San, par deux servantes chinoises, serrées dans l’étroite tunique de soie brune à parements bleus, le chignon au sommet du crâne avec les épingles en croix.

À petits pas, leurs semelles de feutre donnant à leur démarche une allure furtive, elles s’empressaient, disposant les soucoupes du « service chinois », les assiettes à l’européenne, que les Célestes qualifient de « service barbare », les verres, les bâtonnets à riz et aussi les diaboliques fourches, ainsi que sont désignées, dans la phraséologie jaune, les pacifiques fourchettes.

Sara vint languissamment jusqu’à la porte vitrée.

— Les jeunes filles sont-elles de retour ? demanda-t-elle au fidèle de Log.

— Elles arrivent à l’instant. Elles sont au premier étage, dans leurs chambres… Elles descendront de suite.

Comme satisfaite de la réponse, la petite duchesse inclina la tête, puis, indifférente en apparence, elle s’assit d’un côté de la table, où trois couverts se trouvaient mis.

Du côté opposé se voyait un couvert unique.

Ainsi l’avait voulu San dès l’arrivée. En s’excusant de l’étroitesse du logis, de sa pauvreté en meubles, qui ne permettaient pas de dresser deux tables, il avait déclaré tenir à marquer ainsi une séparation… convenable ; à défaut de deux tables complètes, il