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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

— Il le sera, ou bien…

L’enfant marqua une légère pause, puis reprit, d’un accent convaincu :

— Non, il n’y a pas de « ou bien »… Souvent j’ai jeté dans le lac Sans Fond des branches, des planchettes, que je retrouvais plus tard à la surface de la Coupe du Sage… Or, ces épaves n’étaient ni brisées, ni déchiquetées, comme il arrive aux objets charriés par un torrent encombré de rochers… Où une branche passe, je passerai.

Un attendrissement embua les yeux noirs du Maître. Il admirait cet être frêle qui, sans hésitation, avec un héroïsme inconscient, était prêt à s’abandonner au cours mystérieux et perfide de la rivière souterraine.

Et Joyeux souriait, son regard implorait la permission de se dévouer.

Ses angoisses, ses perplexités s’évanouirent et, se livrant, en une irrésistible impulsion, à cet enfant ignoré tout à l’heure encore :

— Écoute donc, Tzé ou Joyeux. Log a ordonné le meurtre et l’incendie de Kiao-Tcheou…

— J’ai entendu, Maître.

— C’est juste… Si cela se produit, mon rêve d’émancipation pacifique de l’Asie s’écroule. Une ère de bouleversements s’ouvre.

Le petit inclina la tête.

— Or, pour empêcher l’œuvre d’épouvante, il suffirait, cette nuit ou la nuit prochaine, d’allumer au sommet du mont Kiouëi

— Ah ! le Chien… qu’on nomme ainsi à cause de sa forme ?

— C’est bien cela… il suffirait d’allumer deux feux verts.

— Verts ? répéta le gamin stupéfait… Verts !…

Il y eut un sourire fugitif sur les lèvres du Maître. Et, arrachant deux larges boutons de sa blouse de chasse :

— Personne n’a jamais soupçonné que je portais sur moi les signaux du Drapeau Bleu. On m’a fouillé, certes… Mais aucun geôlier ne s’est méfié de mes boutons.

Joyeux les retournait dans sa main. Ils lui apparaissaient identiques à ces disques de corozo, dont les Célestes ornent leurs blouses de soie.

— Ce sont de simples feux de Bengale comprimés,