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— Quoi ?

— Et j’ai peur, peur… parce que d’un instant à l’autre le poison du docteur Yven peut accomplir son œuvre.

— Le poison du docteur Yven ? répéta Milhuitcent ne comprenant pas.

— Oui.

— Quel poison ? quel docteur Yven ?

— Tu ignores cela… écoute donc.

— Mes oreilles sont ouvertes, je vous le jure.

— Sache donc qu’en 1812, pendant la terrible retraite de Russie, alors que des nuées de Cosaques tourbillonnaient dans les plaines blanches, autour de nos bataillons décimés, Napoléon fut entouré avec son escorte par une sotnia de ces cavaliers barbares et il faillit tomber en leur pouvoir.

— Ah ! s’écria Milhuitcent en haussant les épaules… Lui, fait prisonnier par des sauvages est-ce que c’est possible ?

— L’Empereur le crut, et, décidé à ne pas survivre à pareille aventure si elle se produisait, il demanda au docteur Yven de lui confectionner un poison, grâce auquel il serait maître de sa vie.

— Bien cela.

— Yven y consentit. Il lui fit une poudre contenant trois grammes d’opium… un gramme suffirait à donner la mort.

— Bon… grâce au ciel, l’Empereur n’eut pas à s’en servir.

— Non, mais le souvenir de ses craintes lui resta.

— Et ?…

— Et, rentré en France, il conserva le sachet contenant, la dangereuse préparation. Toujours il le porte sur lui.

— Sur lui, s’exclama le jeune garçon, mais en ce cas…

— Il lui suffit, conclut Caulaincourt avec tristesse, de se verser un verre d’eau, d’y vider le sachet…

— Et il mourrait, lui… lui !

— Oui.

Un instant les deux causeurs gardèrent le silence.

Tout à coup, Espérat tendit ses mains jointes.